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Affaire Pegasus : « Le Maroc doit accepter que tout peut être dit »

Le défenseur marocain des droits humains, Fouad Abdelmoumni a été arrêté après un post Facebook évoquant l’affaire Pegasus, quelques heures à peine après la visite d’Etat d’Emmanuel Macron au Maroc. Libéré au bout de 48 heures, il reste poursuivi pour « diffusion d’allégations mensongères ». Il s’exprime pour la première fois auprès de Forbidden Stories.

Par Cécile Andrzejewski

5 novembre 2024

Il a été arrêté le mercredi 30 octobre alors qu’Emmanuel Macron quittait le Maroc après sa première visite officielle depuis les révélations de Forbidden Stories sur l’affaire Pegasus. Relâché le vendredi 1er novembre, l’économiste et défenseur des droits humains marocain, Fouad Abdelmoumni demeure poursuivi pour « outrage à des corps constitués », « signalement d’un crime fictif dont il sait l’inexistence » et « diffusion d’allégations mensongères ». Son procès se tiendra le 2 décembre prochain devant le tribunal correctionnel de Casablanca.

À l’origine de son arrestation, un post Facebook où il évoque l’utilisation du logiciel espion Pegasus par les autorités marocaines et mentionne la « prétendue implication du Maroc dans l’espionnage de la France ». Ironie du sort, Fouad Abdelmoumni a lui-même été visé par le logiciel espion israélien selon une expertise réalisée par Citizen Lab en 2019. Et se retrouve donc aujourd’hui dans la situation ubuesque où, victime, il devient accusé.

Contacté par Forbidden Stories, il s’exprime pour la première fois depuis son arrestation. Il considère que sur la question des droits humains, la France « est complètement aux abonnés absents ». Sollicité, le Ministère français des Affaires étrangères n’a pas réagi.

Pour quelles raisons avez-vous été arrêté ?

D’après l’exposé des faits, c’est un post Facebook qui est incriminé. J’y déclare que le problème entre le Maroc et la France, c’est que la France considère qu’elle est face à un État faible qui lui met la pression par tous les moyens possibles, y compris l’espionnage avec Pegasus. Selon les autorités, j’accuserais ainsi l’État marocain de commettre un crime que je sais inexistant. Ils m’accusent aussi de diffamation car j’ai écrit que le Maroc est un État faible, ce qui, pour eux, constitue une insulte envers notre État.

Donc il est interdit de parler de Pegasus au Maroc ?

Il est considéré comme criminel de dire que l’Etat marocain a utilisé Pegasus puisque des « porte-parole » de l’État ont déclaré le contraire. Ces « porte-parole » sont les avocats qui ont poursuivi, en France et en Espagne, les journalistes et organes de presse ayant publié des enquêtes sur Pegasus. Il y a donc une position officielle de l’Etat : soit vous venez avec des preuves matérielles indiscutables prouvant que l’Etat marocain a effectivement utilisé ce logiciel ; soit vous êtes en train de proférer des allégations mensongères sur des crimes inexistants et dont vous connaissez l’inexistence.

Vous êtes une victime de Pegasus et aujourd’hui vous vous retrouvez en position d’accusé. Comment pensez-vous vous défendre ? 

Il y a plusieurs choses. D’abord, en tant qu’activiste, je me dois de mettre à la disposition du public et des autorités tout élément d’information sur les activités de l’État. Mais en plus d’être un citoyen et un membre de la société civile, je suis aussi un plaignant (au titre de victime d’espionnage par le logiciel Pegasus, ndlr). En tant que plaignant, je me suis adressé aux autorités marocaines en 2019 pour demander que des investigations soient menées. Et il n’en a rien été. Je me suis adressé à la Commission nationale de protection des données personnelles pour qu’elle intervienne et elle n’a rien fait. Le Maroc n’a pas daigné constituer une commission d’investigation crédible pour aller au fond des choses, comme l’ont fait d’autres pays. C’est une question de liberté. Dans quelles limites va-t-on admettre que l’Etat soit critiqué ? Par ailleurs, en France et en Espagne, la jurisprudence internationale a débouté l’État marocain de ses plaintes justement à propos de l’affaire Pegasus. La justice considère qu’un Etat ne peut pas prétendre être diffamé et attaquer les citoyens. Le Maroc doit accepter que tout peut être dit.

On peut s’interroger sur le timing de votre arrestation, qui a lieu au moment même où Emmanuel Macron quitte le Maroc après une visite fastueuse, censée célébrer la « réconciliation franco-marocaine »…

Personnellement, je ne fais pas de lien particulier. Ça me pendait au nez depuis des mois, sinon des années. Il y a certainement un écheveau de petits fils qui ont conduit à cette décision. Et en même temps, l’interrogatoire montrait que les charges étaient ridicules. Pour moi, nous sommes dans une situation où l’Etat marocain recourt à la répression de manière relativement feutrée mais assez systématique.

Il n’y a eu à ce jour aucune réaction officielle de la France à votre arrestation, qu’en pensez-vous ?

Depuis bien longtemps déjà, la France ne se montre même plus soucieuse de son image de garante des droits humains. Y compris lorsqu’il s’agit de ressortissants ayant sa nationalité, elle est complètement aux abonnés absents.

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