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« Le gouvernement azerbaïdjanais avait besoin de la COP pour occulter la question de la liberté des médias ».

Trois journalistes azerbaïdjanaises d’Abzas Media ont été victimes de mauvais traitement en prison alors que la COP29 s’achève à Bakou. La rédactrice en chef Sevinj Vagifgizi, les reporters Nargiz Absalamova et Elnara Gasimova ainsi que trois de leurs collègues sont en prison depuis près d’un an.

Par Eloïse Layan

22 novemre 2024

“L’argent sale est plus dangereux que l’air sale” déclare Sevinj Vaifgizi, rédactrice en chef d’Abzas Media, incarcérée depuis presque un an (capture d’écran : Forbidden Stories)

Pour Leyla Mustafayeva, rédactrice en chef par intérim d’Abzas Media et actuellement exilée en Europe ; et un de leurs avocats – qui répond anonymement à Forbidden Stories pour des raisons de sécurité – la COP occulte les violations des libertés fondamentales en Azerbaïdjan.

Qu’est-il arrivé à vos trois collègues pendant leur détention en Azerbaïdjan ?

Leyla Mustafayeva : Le 14 novembre dernier dans la soirée, contrairement à leur habitude, les gardes ont fermé toutes les bouches d’aération des cellules situées sur les portes. Dans la cellule de Sevinjn, une détenue souffrant d’épilepsie s’est sentie mal. Dans une autre cellule, Nargiz se sentait mal également. Environ 170 femmes du centre de détention provisoire ont commencé à frapper simultanément aux portes pour réclamer de l’air. Sevinj a demandé à une gardienne d’ouvrir la petite bouche d’aération sur la porte, mais elle a refusé. Sevinj a fini par passer sa main et a dit : « Je ne laisserai pas cette bouche d’aération se fermer, même si vous me cassez le bras ». La gardienne  lui a claqué la bouche d’aération sur le bras.

Les journalistes d’Abzas Media ont été soumis à des mauvais traitements dès le premier jour de leur détention. Parfois, ils ne sont pas autorisés à rencontrer leurs proches en personne et on les empêche de se parler. Le directeur de la prison a, maintenant, installé des caméras de surveillance sur les portes des trois cellules de nos collègues. Cela pourra être utilisé pour porter des accusations supplémentaires contre eux.

Avocat : Je reviens d’une visite au centre de détention provisoire où sont détenus les journalistes. Les filles vont bien mais elles ont vécu des journées difficiles. Je pouvais encore voir les bleus sur les mains de Nargiz : deux sur la main gauche, un sur la main droite. Tout a commencé parce que Nargiz avait entendu les gardiens de prison insulter et harceler une fille juste à côté de sa cellule. Nargiz a protesté et, en guise de représailles, les gardiens ont décidé de garder toutes les bouches d’aérations fermées. 

Tous les regards sont actuellement tournés vers Bakou avec la COP29. Quel impact pour les journalistes emprisonnés ? 

Leyla : Il est assez ironique de constater que le centre de détention provisoire où sont détenus six de nos journalistes est très proche du lieu de la COP29 (à Bakou, dans le stade olympique), à seulement 7 kilomètres ! Le gouvernement azerbaïdjanais avait besoin de la COP pour occulter la question de la liberté des médias dans le pays et, malheureusement, cela fonctionne. Nous pensons même que l’un des objectifs était d’emprisonner les journalistes d’Abzas pour les empêcher d’accéder à l’événement, afin qu’ils ne puissent pas poser de questions à nos dirigeants devant le monde entier. Si nos journalistes avaient été libres, ils auraient directement interrogé les représentants de l’État sur leurs affaires louches, leur corruption et le business du pétrole alors que nous accueillons la COP. 


Avocat : Même si tous les regards sont tournés vers Bakou, notre gouvernement a déclaré que la COP29 n’avait rien à voir avec les droits de l’Homme. Selon eux, les droits de l’Homme sont une question intérieure, qu’il ne faut surtout pas aborder. Mais les questions liées au climat ne peuvent être traitées sans respecter les droits de l’Homme. Car la société civile indépendante, en particulier les défenseurs des droits de l’Homme et les médias libres, sont les veilleurs qui peuvent garantir le respect des obligations du gouvernement dans tous les domaines, y compris les accords sur le climat.

Pendant sa détention, Sevinj Vagifgizi, rédacteur en chef d’Abzas media, vous a envoyé quelques mots sur la COP29. Quel est son message ?

Leyla: Sevinj a réussi à nous faire passer une lettre contenant une citation sur la COP, et elle nous a demandé de la publier pendant l’événement. La voici : « L’argent sale est plus dangereux que l’air sale ». Cela signifie que même à la COP, nous ne devrions pas oublier les faits de corruption, le blanchiment d’argent, qui sont des sujets sur lesquels Sevinj enquêtait. Et qui lui ont coûté sa liberté. 


Avocat : Les journalistes d’Abzas ont été arrêtés pour leurs enquêtes, notamment sur la corruption. Aujourd’hui, ils veulent montrer au gouvernement et à la société que les emprisonner ne va pas les réduire au silence. Sevinj a transmis des lettres, Nargiz a fait des reportages sur les mauvais soins médicaux dans la prison. Un autre rédacteur en chef, Ulvi, qui est également emprisonné, a écrit sur les mauvais traitements et la torture, et leurs articles ont été publiés par Abzas Media. Vous savez, quand je les vois, j’ai l’impression qu’ils sont très forts et courageux. Mais bien sûr, nous voulons qu’ils soient libres.

Cela fait près d’un an que les journalistes d’Abzas sont détenus. Ils annoncent maintenant une grève de la faim, cela vous inquiète ?

Leyla : Ils ont essayé toutes les procédures légales, ils ont déposé de nombreuses plaintes, mais aucune n’a été satisfaite. Ils ont épuisé tous les recours légaux ; la grève de la faim est la dernière possibilité. Mais oui, je suis très inquiète. Ils sont en prison et cela affecte gravement leur santé psychologique. Entamer une grève de la faim les met aussi en danger physiquement.

Avocat : Nous ne sommes pas optimistes. Nous n’avons toujours pas de date pour le procès. Ils risquent jusqu’à 12 ans d’emprisonnement s’ils sont reconnus coupables. Cela fait plus de dix ans que je m’occupe d’affaires politiques en Azerbaïdjan avec,  toujours, des accusations et des procès similaires. Malheureusement, je n’ai jamais vu une affaire motivée par des considérations politiques dans laquelle l’accusé a été acquitté. C’est dû au manque d’indépendance de la justice, nos tribunaux ne sont pas en mesure de rendre un jugement indépendant.

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