Haïti

Vols de terres, corruption : en Haïti, un journaliste assassiné et un procureur au-dessus des lois

Le journaliste haïtien Gary Tesse a été assassiné en octobre 2022. Le suspect numéro 1 est l’ancien procureur des Cayes, Ronald Richemond. Il est aussi accusé d’avoir préempté de nombreuses terres qu’il aurait revendues pour s’enrichir. Forbidden Stories a poursuivi l’enquête de Gary Tesse et révèle les méthodes déployées par le fonctionnaire pour capturer le foncier dans la région, en toute impunité.

Nos révélations
  • Un ancien homme de main de Ronald Richemond, tout  juste sorti de prison en février dernier, accuse l’ancien procureur des Cayes d’être le cerveau derrière l’assassinat du journaliste Gary Tesse.
  • Ronald Richemond a été  inculpé, mais l’enquête est au point mort. Le juge chargé de l’instruction craint pour sa vie et menace de se déporter du dossier.
  • Ronald Richemond est par ailleurs accusé d’avoir extorqué de nombreux terrains, grâce à une méthode bien rodée facilitée par l’absence de titres fonciers

Par Eloïse Layan avec la contribution de Wethzer Piercin

4 juillet 2025

Un meurtre, doublé d’un rite vaudou. Porté disparu depuis six jours, le corps du journaliste Gary Tesse est retrouvé dans la nuit du 24 octobre 2022, sur une plage de la baie des Cayes, au sud d’Haïti.

Le journaliste Gary Tesse, toujours élégant, animateur de l’émission « Gran Lakou ». Il a été assassiné en octobre 2022 (Crédit : Photo de la famille). 

Le cadavre rendu par les flots a été mutilé. Ses yeux ont été crevés, sa langue et son sexe ont été tranchés. Des sévices censés empêcher l’esprit du défunt de revenir tourmenter ses assassins, dit la croyance populaire. 

« C’était le mode opératoire du commissaire Richemond. Il arrachait les dents, crevait les yeux, coupait la langue et les parties génitales de ses victimes. ». L’homme qui livre aujourd’hui ces détails sordides dit tout connaître des méthodes du magistrat. Ricardo Bain en savait trop, au point d’être emprisonné. En mars 2025, dans l’arrière-cour ombragée d’une maison des Cayes, celui que tout le monde surnomme Chito  savoure sa liberté retrouvée. Il s’apprête à prendre la parole pour la première fois depuis sa sortie de prison, bien décidé à « tout dire ».

Un peu de parfum, un t-shirt noir enfilé à la hâte. Il est prêt à témoigner. « Moi, je voulais protéger Gary, c’était quelqu’un de bien », se remémore-t-il. Ami de Gary Tesse, Chito était aussi proche du commanditaire présumé de son assassinat. Si ses affirmations sont parfois difficiles à vérifier indépendamment, des avocats proches du dossier et la famille de la victime accréditent son récit.

Le procureur Ronald Richemond aimait à vanter ses actions dans la juridiction (Crédit : DR) 

Chito était membre de l’équipe du commissaire du gouvernement des Cayes, Ronald Richemond (l’équivalent du procureur de la République en droit français, NDLR). Le magistrat, lunettes noires imposantes et verbe haut, ne rate pas une occasion de détailler devant la presse ses opérations visant à rétablir « la paix publique » dans sa juridiction. Il fut même un temps où Richemond appelait Chito « petit frère ». Mais Chito était aussi un proche de la bête noire du procureur, le journaliste Gary Tesse. Il accuse aujourd’hui Ronald Richemond d’avoir commandité son assassinat, un crime jusqu’ici impuni.

En 2024, Haïti est devenu « le pire pays au monde en matière d’impunité » en matière de crimes commis contre les journalistes, selon le CPJ (le Comité pour la protection des journalistes). Le pays des Caraïbes détrône et la Syrie et la Somalie en tête de ce classement. Face à une instabilité politique accrue et un système judiciaire défaillant, selon l’organisation Haïti est le pays où les assassins de journalistes ont le plus de chances de rester impunis. Le CPJ fait mention de sept meurtres non élucidés depuis 2019, dont celui de Gary Tesse. Forbidden Stories, dont la mission est de poursuivre le travail des journalistes assassinés, est allé sur place, aux Cayes, rencontrer les témoins clés de l’affaire. Le meurtre de Gary Tesse est emblématique : le journaliste s’attaquait à la personnalité la plus influente de la ville, le commissaire du gouvernement. Il l’a payé de sa vie.

Plus de deux ans après l’assassinat de Gary Tesse, l’enquête judiciaire est au point mort. Le commissaire Ronald Richemond est pourtant inculpé dans le dossier, selon le juge d’instruction en charge du dossier, Jean Michelet Séide. Avec notre partenaire haïtien AyiboPost, nous avons enquêté sur ce procureur que le journaliste accusait de meurtres, et de vols de terres. Cet article est le troisième d’une série consacrée aux meurtres de journalistes en Haïti et à leurs prédateurs.

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Gary Tesse, la bête noire du commissaire Richemond

Décrit par ses confrères comme un journaliste « fougueux » et « déterminé », Gary Tesse animait l’émission « Gran Lakou » (La grande cour, NDLR) sur la radio Le Bon FM. Les archives de la station conservent encore sa voix tonnante : « Quelqu’un comme Ronald Richemond incarne parfaitement la figure du mal qui ronge notre société, tel un animal malade de la peste ». À l’antenne, il dénonçait sans relâche les abus de pouvoir, les pots-de-vin et les violations des droits humains commises par le procureur Richemond. Gary Tesse reprochait régulièrement à Chito cette proximité qu’il jugeait problématique avec Richemond : « Mon frère, un jeune homme comme toi ne peut pas accepter de suivre le commissaire Richemond qui tue des gens comme bon lui semble. Arrêter des gens irrégulièrement, chasser d’autres de leurs terres, ce ne sont pas des actions d’autorités dignes de ce nom ».

Des critiques qui ulcèrent le magistrat, prêt à tout pour faire taire le journaliste. En mai 2022, il fait brièvement arrêter Gary Tesse. Puis, il aurait chargé Chito d’acheter son silence, en échange de 200000 gourdes (environ de 1300 euros, l’équivalent d’un an de salaire moyen). Gary Tesse refuse. C’est l’escalade. Selon Chito, Ronald Richemond veut « en finir avec cette affaire ». Un jour, il l’informe qu’il est requis pour « aller prendre de force le journaliste. Il m’a ordonné de mettre dans ma voiture un drap blanc et une pioche. Je lui ai dit non. » Dans des messages datés du 3 juillet 2022, dont il a conservé une capture d’écran, le commissaire Richemond lui demande aussi de mettre son véhicule à disposition pour une  filature.

Chito affirme ne pas avoir été présent lors du kidnapping de son ami. Le lendemain de l’enlèvement, il est lui-même arrêté et placé en détention. « Vu que je connaissais tout le plan d’assassinat – avec lequel je n’étais pas d’accord – Ronald Richemond a décidé de m’arrêter pour m’empêcher de parler » déclare-t-il. « Chito est un élément clé dans cette affaire car il était dans les petits papiers du commissaire, il savait tout » estime l’avocat de la famille de Gary Tesse,  Josias Jean-Pierre.

Ricardo Bain, surnommé Chito, un ancien collaborateur de Ronald Richemond, mais aussi un ami de Gary Tesse.  (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Joint par téléphone, Ronald Richemond nie toute responsabilité dans l’assassinat et s’insurge : « Pourquoi on m’accuse ? Pourquoi moi ?  Est-ce parce que je suis un homme populaire ?  ». Pour la première fois depuis plus d’un an, il accepte de revenir sur l’affaire. Ronald Richemond affirme avoir ordonné à la police de faire des recherches dès la disparition de Gary Tesse, et « ne jamais avoir vu le corps ». Il glisse qu’on ne doit « ôter la vie de quiconque ». Gary Tesse, pour lui, c’était un journaliste qui « parlait de tout… de tout et de rien ». Quant à Chito, il n’était pour lui qu’un « donneur de renseignements », un indic à qui il a aussi emprunté sa voiture banalisée « pour lutter contre les bandits ». « Il n’a jamais été dans mon équipe », assure Ronald Richemond, qualifiant au passage Chito de « délinquant », envoyé en prison selon lui pour avoir pris la tête de manifestations.

Pourtant, un autre témoin, joint par nos confrères d’Ayibopost, confirme les déclarations de Chito. Amos André était un garde du corps de Ronald Richemond. Il raconte un plan d’assassinat s’étalant sur plusieurs mois : « Un jour, le commissaire revenant du bureau nous dit : “Messieurs, Garry Tesse me cause énormément d’ennuis. Je suggere qu’on lui envoie une femme empoisoneuse”. C’était le premier plan. Cela n’a pas marché ». Le plan B réussira : « Ronald Richemond a réuni l’équipe et ses gars ont déclaré, en ma présence : “Nous venons de faire un joli coup”, ils parlaient du journaliste assassiné ». Amos André déclare qu’un dénommé Wilkens Thiogène était en charge de tuer le journaliste.

Vano Tesse, le frère de Gary Tesse, et son épouse Yvana Despagne Tesse en mars 2025 dans leur village près des Cayes. (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Le village où habitait Gary Tesse se trouve à 25 minutes en voiture de la ville des Cayes. Sur la route, les rizières se succèdent aux champs de canne à sucre traversés par les effluves boisées de vétiver, une plante aromatique. On est dimanche matin, des femmes vêtues de blanc partent à la messe, des paysans labourent leurs champs à l’araire. La modeste maison de Gary Tesse se trouve un peu avant le village de Cavaillon, en contrebas de la route. Sa veuve, Yvana, vit ici avec leur fille et ses proches parents. De son mari, elle a gardé son passeport et sa photo d’identité. Émue, elle se rappelle de son mari, un homme élégant et un journaliste qui défendait les « masses défavorisées », les « plus vulnérables et les plus méprisés », lui dont les parents étaient petits cultivateurs.

Les rares documents qu’Yvana Tesse a pu conserver de son mari Gary Tesse (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Le 18 octobre 2022, Gary Tesse part comme à son habitude à 9 heures du matin, pour préparer son émission en direct à partir de 13 heures. Il monte le chemin de terre qui le sépare de la route et prend place dans un tap-tap, un taxi collectif. À 19 heures, sans nouvelle de lui, sa femme Yvana s’inquiète. Les jours qui suivent, elle le fait chercher partout, à l’hôpital, et même à la prison. Le frère du journaliste, Vano Tesse, réussit à retrouver le chauffeur du tap-tap, Jean Willy. « Il m’a dit que Gary était au téléphone, qu’il était descendu dans le quartier Bergeau 5 et qu’un véhicule l’attendait. J’ai rapporté ça à la radio ». Quelques semaines plus tard, Jean Willy est à son tour assassiné.  Un autre témoin éliminé, selon Josias Jean-Pierre, l’avocat de la famille Tesse, aurait été le responsable du marché où Gary Tesse aurait été détenu

La famille Tesse elle-même a été menacée. « On entendait des tirs, des bruits de balles chaque soir aux environs de notre maison », témoigne son frère. Il fait état de son épuisement et de la complexité de porter plainte contre la personnalité la plus influente de la ville, le chef du parquet.

Fausse ordonnance imitant la signature du juge chargé de l’affaire Gary Tesse (Crédit : Obtenue grâce à SOS Journalistes).

Wilkens Thiogène est une connaissance de Ronald Richemond. Il est arrêté en décembre 2022, avant d’être inculpé pour l’assassinat de Gary Tesse. Mais le 8 décembre 2023, il est libéré grâce à un faux document imitant la signature du juge chargé de l’affaire, Robert Jourdain. « C’est une ordonnance fabriquée de toutes pièces par Ronald Richemond » dénonce l’organisation haïtienne SOS Journalistes. Le juge Jourdain lui-même a alerté ses autorités de tutelle pour usage de faux. Encore une fois, Ronald Richemond serait au-dessus des lois. Ce qu’il nie : « Je n’ai pas le sceau du juge, je n’ai pas les feuilles. Comment fabriquer une fausse ordonnance ?

« Arrivé comme sauveur, parti comme un voleur ». Pour résumer la trajectoire de Ronald Richemond, Angel, journaliste haïtien, qui parsème son interview de références musicales, cite le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly. Une histoire presque banale pour un commissaire du gouvernement en Haïti. Un procureur d’abord populaire, célébré par la population. Entre 2019 et 2020, il s’est battu pour la sécurité des citoyens des Cayes en menant des opérations contre les bandits de Kilikou qui sévissaient alors dans la région. Avant d’entrer dans les trafics, et de devenir « un sale mec ». 

Angel – crâne rasé, jogging et maillot de foot, collier en argent – vient lui aussi de sortir de prison. Il a été arrêté pour vol de voitures, mais s’en défend : « le commissaire a truqué les choses ». Il affirme que Ronald Richemond lui aurait demandé d’effacer l’enregistrement d’une interview de Didier Chabat, un de ses hommes de main impliqué dans le kidnapping de Gary Tesse. Il aurait refusé, il a été emprisonné. Didier Chabat, lui, a été tué. « Il a fait les frais du commissaire », grince Angel.

Le vol de terre, la « spécialité » du commissaire Richemond

Pour s’enrichir, Ronald Richemond aurait phagocyté le foncier. « Voler les terres, c’était sa spécialité », affirme Chito. « J’étais souvent chargé de faire les négociations en son nom ». Pour le prouver, il nous embarque pour une visite guidée des propriétés volées. Deux hommes armés l’escortent, des connaissances, « pour plus de sécurité ». Un marché spécialisé dans les pièces détachées de moto, un quartier résidentiel des Cayes, et à l’extérieur de la ville, des rizières.

Chito, tout juste sorti de prison ce mois de mars, se fait accompagner d’hommes armés pour sa sécurité (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories

Derrière une parcelle délimitée par des pieux en bois, un homme repique quelques plants de riz. « Deux familles se disputent ces terres » explique Chito,  « le commissaire a demandé à l’une des familles de lui octroyer 3/16 eme du terrain afin de trancher en sa faveur, sans aucune forme de décision de justice ». Selon Chito, Ronald Richemond aurait ensuite revendu les terrains.

Chito lève le voile sur la méthode du procureur, sur fond de litiges entre familles et de successions contrariées. « Quand quelqu’un possède un terrain et que quelqu’un d’autre veut l’en déposséder, il faut avoir une décision de justice en sa faveur. Il y a par exemple l’exequatur, une autorisation donnée par le procureur. Ronald Richemond en a profité pour se faire une fortune ».

Faut de cadastre, l’insécurité foncière est très forte dans la région des Cayes. Ici des parcelles auraient été volées et revendues. (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories

Les recours sont difficiles, il n’y a pas de cadastre en Haïti, et si les titres de propriétés existent, de nombreux faux circulent. Le plus souvent, c’est parole contre parole, document contre document. Au détriment des plus pauvres ou des membres de la diaspora installés à l’étranger. Selon Chito, Richemond aurait revendu certains terrains, ou en aurait fait bénéficier à ses amantes et ses hommes de main. Un ancien policier de la garde rapprochée de Richemond, Mazile Jean Roland, confirme aussi avoir été témoin d’un vol de terre par le commissaire. 

Une combine qui tourne à plein régime, amplifiée par les failles de l’administration haïtienne. Aux Cayes, la mémoire foncière a disparu. « C’est la juridiction dans laquelle il y a le plus de conflits fonciers, notamment du fait que les archives de la DGI (Direction Générale des Impôts) ont brûlé en 2010 », explique Michèle Oriol, ancienne secrétaire exécutif du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT). Il n’y a pas de cadastre, mais c’est tout de même à la DGI que sont enregistrés les actes de vente et d’arpentage. « Richemond en a fait son beurre, il a vraiment été impliqué dans beaucoup de conflits », poursuit celle qui assure avoir écrit au moins deux lettres au ministère de la Justice pour dénoncer les agissements du commissaire du gouvernement.

À droite, Vanté Mérita, gestionnaire du terrain d’une famille, témoigne des violences qu’elle a subies en s’opposant à l’appropriation des terres (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Tenter de résister face à Ronald Richemond et ses hommes, c’est s’exposer à leur violence. À quelques centaines de mètres des rizières, dans le village à côté, Vanté Merita, gestionnaire du terrain pour la famille lésée s’est opposée à l’appropriation des terres. Elle en a fait les frais : sa maison a été incendiée. Elle dit avoir été battue et arrêtée par Patrick Clervil, un des hommes armés du commissaire du gouvernement.  « Ils nous ont persécutés » rapporte-t-elle. « C’est la raison du plus fort » déplore Chito. « Quand Richemond était en fonction, les gens avaient peur de demander justice. Car c’était auprès de lui qu’ils devaient aller déposer la plainte. »

Un petit commerçant de la ville est pourtant parvenu à s’opposer et gagner en justice face au magistrat Richemond. « Travaux suspendus par le parquet des Cayes ». Les lettres rouges, tracées en gros sur le mur d’enceinte du terrain d’Evens Bernavil à l’été 2023 sont aujourd’hui à peine visibles. Vestige de la longue lutte menée par le commerçant contre le commissaire du gouvernement. Il est l’un des rares à avoir osé porter plainte contre Ronald Richemond. Et à avoir obtenu gain de cause : « Je n’avais rien à perdre. Il m’a traumatisé, il m’a fait partir, il m’a fait laisser ma famille, mon business, je n’avais pas le choix ». En 2023, lui et sa femme, qui tiennent une petite supérette aux Cayes, ont éprouvé les méthodes du commissaire. Handicapé lors du tremblement de terre de 2010, il a dû passer plus de trois mois en cavale, pour fuir les hommes armés du magistrat Richemond. À Port-au-Prince, il remue ciel et terre, dépose des lettres dans les bureaux des ministères et des ambassades.

À l’origine du contentieux : un petit bout de terrain, acheté 8 000 dollars américains, selon l’acte d’arpentage et un acte notarié. En août 2023, les époux prévoient des travaux et obtiennent l’autorisation de la mairie. Sauf que le procureur Richemond – qui aurait reçu l’appel d’une des héritières de la propriété réclamant des droits – les fait interdire. Là aussi, sur fond de litiges, il aurait « voulu voler ce terrain », affirme Evens Bernarvil. Pour y parvenir, il va même jusqu’à émettre un mandat d’arrêt contre le commerçant et sa femme. Motif : usage de faux et menaces de mort à l’encontre de ladite héritière. Un  « prétexte fallacieux » tranche le jugement du Tribunal de première instance des Cayes, qui juge le mandat d’amener « illégal et arbitraire ».

Le commerçant Evens Bernarvil a osé porter plainte contre Ronald Richemond. Ici, avec tous ses documents. (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Interrogé par Forbidden Stories sur les allégations de vols de terres, Ronald Richemond retourne l’accusation contre ses détracteurs. « Ces personnes s’accaparent les terrains ! Ce sont des faux papiers, des faux actes d’arpentages. Tout est faux et archi faux ». Il prétend disposer « des documents, des preuves palpables ». 

Depuis l’assassinat de Gary Tesse, la colère ne retombe pas. Dans le studio multicolore de la radio Le Bon FM, les chroniqueurs de l’émission Grand Lakou continuent de crier justice aux micros. « Nous demanderons justice pour notre confrère Gary Tesse jusqu’au bout. Nous demandons à ce que Ronald Richemond soit arrêté, jugé, condamné », réclame Charles Boyer, à la tête de l’émission.

Charles Boyer, chroniqueur à la tête de l’émission Grand Lakou co-animée par Gary Tesse avant sa disparition, dans les locaux de la radio LeBon FM. (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Gary Tesse au micro de la radio LeBon FM (Crédit : DR). 

Lentement, l’étau se resserre autour du commissaire du gouvernement. En avril 2025, il a été révoqué, selon l’association haïtienne SOS Journalistes, après avoir été dans un premier temps écarté de ses fonctions aux Cayes, en juin 2024. « On a dû batailler fort » raconte Guy Delva, à la tête de SOS Journalistes. « C’est très important qu’il soit révoqué et dépouillé de son statut de magistrat qui le protégeait contre des poursuites pénales dans le cadre de l’assassinat de Gary Tesse » . Par téléphone, Ronald Richemond confirme avoir été révoqué, une décision qu’il dit ne pas comprendre.

Le nouveau commissaire du gouvernement Elioth, acclamé par la population (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Le nouveau patron du parquet des Cayes, c’est désormais le commissaire du gouvernement Elioth, 40 ans. Son arrivée a été célébrée dans la liesse. Dans son bureau, une foule d’adeptes le serrent dans leurs bras et l’acclament: « À vie, à vie ! ». Il dit faire de la lutte contre  « les gangs terriens » une priorité : « c’est un gros danger », alerte-t-il. Le cas Richemond est selon lui emblématique de la participation des élites locales à la corruption : « des notaires, des policiers, des huissiers sont impliqués, c’est tout un système à démanteler ».

Il n’est pas rare de croiser des hommes armés dans les rues des Cayes (Crédit : Eloïse Layan / Forbidden Stories).

Ronald Richemond et ses hommes écument encore la ville. Plus de deux ans après le meurtre de Gary Tesse, son frère ose enfin sortir un peu, mais ne se sent toujours pas en sécurité : « L’équipe de Ronald Richemond circule encore avec des armes. Il y a des fusils d’assaut, des armes lourdes entre leurs mains ». Quelques jours avant notre rencontre, il a croisé en ville un des hommes de Ronald Richemond, Patrick Clervil, ses deux pistolets 9mm en évidence. Joint par  téléphone il y a quelques jours, le juge d’instruction en charge du dossier Tesse n’est ni rassuré, ni rassurant. Jean Michelet Séide alerte sur ses difficultés dans cette affaire : « Je veux savoir, et je veux que la société sache qui a assassiné le journaliste. Mais c’est ma vie qui est en jeu, je n’ai pas même d’arme ou un véhicule blindé. Après quatre lettres restées sans réponse… pour obtenir des moyens sécuritaires, je risque de me déporter du dossier. » Le seul en mesure de faire éclater la vérité sur l’assassinat de Gary Tesse, est aujourd’hui terrorisé. Et totalement démuni.

Dans les environs des Cayes, des petits avions chargés de cocaïne

Perdu au milieu des champs de la commune de Ducis, à 20 kilomètres au nord-ouest des Cayes : une piste d’atterrissage clandestine. « L’avion a été retrouvé un matin sur ce terrain. Et quelques temps après, des voitures transportant des policiers et le commissaire Richemond sont arrivées » explique un paysan rencontré sur place. Selon le parquet des Cayes, le petit avion s’est posé le 19 octobre 2023, avec une « cargaison de cocaïne par avion en provenance de la Colombie ». Le Sud d’Haïti serait un « point d’entrée stratégique de la drogue » dans le pays, selon les experts de l’ONU. Notamment de la cocaïne, transportée par des petits bateaux ou des petits avions sur des pistes clandestines en provenance d’Amérique du Sud et qui transite par Haïti avant d’être acheminée aux États-Unis et dans une moindre mesure en Europe occidentale. Plusieurs hommes politiques haïtiens, dont l’ancien sénateur du Sud, Hervé Foucand, et l’ex-sénateur Rony Célestin sur lequel Forbidden Stories et ses partenaires ont enquêté, ont été sanctionnés par les États-Unis pour leur implication dans le trafic illicite de drogues. Selon Chito, et deux autres sources, le commissaire du gouvernement Ronald Richemond aurait versé dans le trafic de drogue, de manière « opportuniste ». « Lorsqu’il était au courant d’une cargaison de cocaïne, il montait une opération et récupérait la marchandise. Un de ses hommes de main était ensuite chargé de la revendre  » déclare Chito, qui dit avoir été témoin de négociations.  À la prison des Cayes, en mars dernier, Forbidden Stories avait rencontré deux colombiens accusés d’avoir piloté le petit avion de la piste de Ducis. Ils ont depuis été libérés. La cargaison de drogue n’a pas été retrouvée.

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