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« Gaza Project » : pourquoi nous l’avons fait
(Visuel : Mélody Da Fonseca)
Par Laurent Richard,
Journaliste et fondateur de Forbidden Stories
25 juin 2024
Il fallait s’unir. Travailler ensemble pour informer. Depuis le déclenchement de la guerre par Israël à Gaza en réponse à l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas, plus de 100 journalistes et personnels de médias ont été tués parmi plus 37 000 victimes.
Survivants parmi d’autres, les journalistes de Gaza savent depuis longtemps déjà que leurs gilets « presse » ne les protègent pas. Pire encore, ils les exposeraient davantage. Les reporters locaux voient aussi qu’ils sont seuls, les autorités israéliennes interdisant aux journalistes étrangers de se rendre dans la bande de Gaza. «Ceux qui sont encore sur place ont été blessés, détenus, ont perdu des membres de leur famille, ont perdu du matériel et craignent de travailler publiquement» témoigne Hoda Osman, rédactrice en chef du réseau journaliste d’investigations arabes (ARIJ) et membre du Gaza Project.
Le journaliste est pourtant le témoin dont l’Histoire a toujours nécessairement besoin. Un témoin qui, par sa présence, peut documenter les crimes de guerre, voire empêcher qu’ils se multiplient en toute impunité. Il peut surtout rendre compte à l’opinion publique de la situation, par-delà les images de propagande produites par les camps impliqués.
La quatrième convention de Genève ratifiée par 196 pays - dont Israël - prévoit d’ailleurs, que s’en prendre à des journalistes ou à leur équipement, est une violation du droit international dès l’instant où le journaliste ne prend pas part au combat.
Forbidden Stories, dont la mission consiste à poursuivre le travail des journalistes assassinés, emprisonnés ou menacés, a décidé en février dernier de coordonner un projet sans précédent.
Pour le Gaza Project, 50 journalistes de 13 médias différents coordonnés par Forbidden Stories ont travaillé ensemble pour enquêter sur la mort des journalistes à Gaza, mais aussi sur les arrestations ou menaces à leur encontre en Cisjordanie.
Faute de pouvoir aller sur le terrain, nous avons décidé d’analyser des milliers d’heures d’images et de sons parvenus depuis la bande de Gaza pour déterminer avec précision les positions GPS, les trajectoires balistiques et la chronologie des faits. Une méthodologie essentielle pour Manisha Ganguly, journaliste responsable des enquêtes en sources ouvertes au Guardian : «Cela, combiné avec les informations obtenues par nos sources sur le terrain, est vraisemblablement la meilleure manière d’enquêter sur cette guerre, à cause des restrictions imposées aux journalistes étrangers, qui ne peuvent pas accéder à Gaza. » Une enquête difficile dans une zone massivement détruite, où les communications sont très limitées et où les journalistes et leurs familles ont été forcés de se déplacer.
« Quand nous avons commencé ce projet en février, je doutais de notre capacité à aller aussi loin dans ces enquêtes, mais nous avons été en mesure de dresser un constat sidérant de ce qui se passe dans la bande de Gaza contre les journalistes, » poursuit Walid Batrawi, journaliste palestinien et l’un des piliers de ce projet.
« En travaillant ensemble, nous sommes plus précis et avons plus d’impact », poursuit Maria Retter de Paper Trail Media, notre partenaire allemand. Attaques ciblées, destructions d’infrastructures dûment répertoriées comme hébergeant des médias, le « Gaza Project » révèle un faisceau d’indices accablant pour le gouvernement israélien.
Le « Gaza Project » a aussi ceci d’unique qu’il inclut des journalistes de différentes nationalités réunis au nom de l’information et de l’intérêt général. « Ce projet est particulièrement important pour nous, un acte de solidarité avec des journalistes à qui la guerre a coûté la vie et une manière de montrer au monde ce qui se passe réellement à Gaza », déclare Yuval Abraham, journaliste israélien basé à Jérusalem et travaillant pour +972 Magazine et Local Call, une publication dirigée par des journalistes palestiniens et israéliens.
Pour ce projet nous avons aussi poursuivi le travail de certains reporters tués ou arrêtés par l’armée israélienne. Une manière de redonner un souffle à des histoires qui leur ont coûté la vie ou la liberté. Tuer le messager ne tuera pas le message.