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Gaza Project

Douze médias internationaux unis pour enquêter et poursuivre le travail des reporters palestiniens

Depuis le 7 octobre 2023, près de 170 journalistes palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza. Après que le Gaza Project a révélé le ciblage de certains d’entre eux par l’armée israélienne, Forbidden Stories et ses partenaires ont de nouveau enquêté sur ces reporters tués ou blessés dans l’exercice de leur métier, notamment ceux utilisant des drones. Nous dévoilons aussi les stratégies déployées par le gouvernement israélien – appuyé par certaines ONG – pour tenter de s’exonérer de ses responsabilités éventuelles dans la mort de ces journalistes.

(Crédit : Mélodie Da Fonseca / Forbidden Stories)

Par Frédéric Métézeau

27 mars 2025

Les partenaires du Gaza Project 2025
 

Paper Trail Media, Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ), RFI, Bellingcat, Die Zeit, Le Monde, France 24, The Seventh Eye/Shakuf +972 Magazine, ZDF and Der Standard

Équipe de Forbidden Stories 

Directeur de publication : Laurent Richard

Rédacteur en chef : Frédéric Métézeau

Journalistes : Mariana Abreu, Sofía Álvarez Jurado, Cécile Andrzejewski, Magdalena Hervada, Youssr Youssef

Coordinatrice de publication : Louise Berkane

Journaliste vidéo : Anouk Aflalo Doré

Fact-checking : Emma Wilkie, Mashal Butt

Secrétariat de rédaction : François Burkard, Mashal Butt, Simon Guichard, Christopher Knapp

Traduction : Amy Thorpe, Léontine Gallois, Paciane Rouchon

Communication : Alix Loyer, Emma Chailloux


Intégration : Thibault François, Louise Berkane

Modèles 3D

Thomas Bordeaux (bélévole pour le Global Authentication project de Bellingcat)Mahmoud Isleem Al-Basos, Jake Godin (Bellingcat), Magdalena Hervada (Forbidden Stories), Youssr Youssef (Forbidden Stories)

Cinq mois après la publication du premier volet du Gaza Project de juin 2024, Forbidden Stories et ses partenaires ont décidé de lancer une nouvelle collaboration internationale consacrée à la guerre qu’Israël mène à Gaza.

« La première partie du projet a été extrêmement importante », raconte Hoda Osman rédactrice en chef d’ARIJ, le réseau de journalistes d’investigation arabes : « À ARIJ, nous avons republié nos articles plus d’une centaine de fois en arabe dans différents médias. Et si des enquêtes [judiciaires] formelles n’ont pas été ouvertes, cela a aidé à sensibiliser et à porter l’attention sur ce sujet. »

Selon le Comité de Protection des journalistes, près de 170 journalistes gazaouis sont morts. Parfois ciblés par l’armée israélienne, parfois tués au milieu d’autres civils victimes des bombardements massifs qui ont ravagé Gaza durant de longs mois. « Malheureusement, nous devons recommencer », déplore le journaliste palestinien Walid Batrawi, consultant pour Forbidden Stories.

Au péril de leur vie et de leur santé, nos consœurs et confrères palestiniens travaillent toujours dans des conditions terribles alors que, depuis le début de la guerre, Gaza reste Interdit d’accès aux journalistes étrangers, sauf à de très rares exceptions. L’armée israélienne n’a pas répondu à notre demande d’accéder à Gaza quand le cessez-le-feu y était encore en vigueur.

Une quarantaine de journalistes de 12 médias ont pris part à cette nouvelle enquête collaborative. « Nous devions le faire. D’autres journalistes ont été tués. Il y a eu une pause pendant le cessez-le-feu mais la guerre a repris. Chaque journaliste tué mérite une enquête » poursuit Hoda Osman. Grand reporter à RFI et ancien correspondant à Jérusalem, Nicolas Falez participe pour la première fois à un consortium d’enquête international : « J’ai découvert le bénéfice évident d’allier nos compétences. On connaît les organisations verticales et pyramidales de nos rédactions. J’ai été très intéressé par l’alignement horizontal de nos cerveaux », explique-t-il.

Ce travail collectif nous a permis de raconter, en détail, comment des journalistes filmant avec des drones sont ciblés par l’armée israélienne. Parmi eux, Mahmoud Isleem Al-Basos, tué par une frappe de drone israélien le 15 mars à Beit Lahia alors qu’il accompagnait un convoi humanitaire, et qui avait tourné des images pour le Gaza Project quelques jours plus tôt.

L’armée israélienne affirme que ce jour-là, elle visait spécifiquement des « terroristes » utilisant un drone mais sans jamais étayer ces affirmations. 

Grâce à des documents inédits issus de plusieurs ministères israéliens, nous décrivons la stratégie déployée par le gouvernement d’Israël pour organiser son impunité devant les juridictions internationales. Et comment certains journalistes palestiniens, ou les ONG qui les défendent, sont accusés de terrorisme.

Et parce que tuer le messager ne tuera jamais le message, nous avons poursuivi le travail de ces reporters utilisant des drones pour filmer les ruines. C’était d’ailleurs la mission assignée à Mahmoud Isleem Al-Basos, quelques jours avant sa mort. Grâce à lui et aux toutes nouvelles techniques de modélisation développées par notre partenaire Bellingcat, nous avons conçu des cartes 3D aériennes, interactives et immersives, des quartiers Al Shati et Jabalia pour visualiser au plus près, et de manière inédite, l’ampleur des destructions.

Nous racontons aussi l’histoire de Fadi Al-Wahidi. Paralysé sur son lit d’hôpital, le reporter nous raconte le jour où il a été grièvement blessé près du camp de réfugiés de Jabalia, alors qu’il portait son gilet siglé « Press ». Lui et ses amis sont convaincus qu’il s’agit d’un tir intentionnel de l’armée israélienne : « Encore maintenant, mes oreilles entendent les balles rebondir sur la porte et sur les murs à côté de moi. C’était une [tentative] d’assassinat ciblé. C’était un tir direct. » 

Le 24 mars, Hosam Shabat a été tué par un drone israélien alors qu’il circulait dans une voiture siglée d’Al Jazeera. « Je porte un gilet presse, ainsi qu’un casque. Nous essayons toujours d’être identifiés comme des journalistes afin que l’armée d’occupation n’ait aucun argument pour nous prendre pour cible », expliquait-il au Monde en juin 2024, dans le cadre du Gaza Project. Conscient du danger, il avait confié un message en guise de testament à ses proches. Ces derniers l’ont publié sur X après sa mort. Le journaliste de 23 ans y écrivait : « Par Dieu, j’ai accompli mon devoir de journaliste. J’ai tout risqué pour dire la vérité, et maintenant, je trouve enfin la paix. » En conclusion, il demandait à ceux qui le liraient de « continuer à raconter nos histoires. » C’est l’essence même du Gaza Project.

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