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« La lutte pour une terre est la lutte de tous »
Entretien réalisé par Laurent Richard avec «Guacamaya», le groupe de hackers derrière la fuite de données de «Mining Secrets».
Par Laurent Richard
6 mars 2022
Le projet Mining Secrets est publié près de trois ans après le projet Green Blood, qui vise à poursuivre le travail des journalistes menacés pour avoir enquêté sur les scandales environnementaux de l’une des industries les plus opaques dans le monde.
Qui êtes-vous ou comment vous présentez-vous?
Guacamaya, c’est nous toutes ; toutes les personnes frappées depuis la nuit des temps par l’invasion et la dépossession d’Abya Yala (le nom choisi par les nations indigènes pour désigner l’Amérique, ndlr) ; nous sommes les filles et les fils de ceux qui ont défendu la vie, avec la vie elle-même ; nous sommes du Sud, du Centre, du Nord, des Caraïbes ; nous sommes les filles et fils de la terre nourricière ; nous étions, sommes et serons partout où l’envahisseur, le colon, le néo-colonialiste, le pilleur extractiviste, violent les droits des communautés et des cultures millénaires, exterminant les forêts, les rivières et les mers pour accumuler ce qu’ils considèrent comme des richesses.
Pourquoi avoir choisi ce nom, “Guacamaya”?
Guacamaya est tout simplement le nom de l’oiseau dessiné sur l’image. Il y en a plusieurs sortes en Amérique latine, mais l’espèce rouge du dessin se retrouve assez communément en Amérique centrale. On le trouve certainement dans les forêts autour d’El Estor.
Pourquoi avoir hacké cette entreprise ?
Les raisons sont diverses : l’injustice en général ; les infractions pénales commises à l’encontre de la population et du territoire – ce qui, à long terme, signifie contre la planète elle-même. Les stratégies de résistance de ceux qui souffrent de l’oppression et de l’esclavage doivent se développer au niveau mondial, comme le sont ces multinationales et le système lui-même. La lutte pour une terre doit être la lutte de tous, car en fin de compte, il s’agit de la défense de la vie, de l’espèce humaine et des autres êtres vivants habitant la planète.
Que vous inspire la situation sur place, au Guatemala ?
Un territoire comme El Estor, au Guatemala, porte une histoire de lutte et de résistance. Les habitants résistent au quotidien, à corps perdu, même si ce combat est déséquilibré. Une communauté autochtone affrontant la puissance d’une telle machine constitue une source d’inspiration. La compagnie minière ne renoncera pas au pillage et la communauté défendra toujours son droit de vivre.
Pourquoi avoir décidé de nous transmettre cette fuite de données ?
Forbidden Stories est l’organe de presse international qui a le plus écrit sur cette mine. Il s’agit d’un collectif fort, appartenant à cette classe privilégiée simplement par le fait de ne pas vivre dans les territoires concernés. Nous avions l’assurance que Forbidden Stories, qui collabore avec les médias internationaux, rendrait cette fuite publique. Nous avons considéré que la faire parvenir directement à la presse locale mettrait les journalistes sur place en danger, étant donné que certains ont déjà été emprisonnés ou menacés.
Que répondez-vous à ceux qui diront qu’il est illégal d’obtenir des données de cette manière ?
Que la légalité et les lois ont été inventées par le système. En solidarité et en résistance, nous ne pouvons pas accepter les concepts de légalité ou d’illégalité, car ce serait donner de la crédibilité à un système auquel nous ne croyons pas, ou qui, selon nous, doit disparaître.
Craignez-vous les poursuites judiciaires ?
Avoir peur de leurs représailles ne fait pas partie de nos considérations. Vivre criminalisées et emprisonnées dans un système global oppressif reste une constante depuis notre naissance, de quoi d’autre pourrions-nous avoir peur ?
Qu’espérez-vous en rendant ces données publiques ?
Exposer l’entreprise, que toutes connaissent son mode opératoire, ses actions et son intérêt pour son seul et unique profit, en négligeant les dommages qu’elle cause au territoire et aux ressources de la communauté. Ses stratagèmes pour s’allier à d’autres entreprises, privées ou publiques, afin d’imposer des lois en sa faveur ; et ses stratégies pour « nettoyer » son image afin que tout cela reste impuni.
Comment décririez-vous le rôle des hackers comme vous dans nos sociétés ?
Notre rôle sera d’organiser et de participer aux différents modes de résistance, dans n’importe quel endroit où existent une rage digne et un désir joyeux de révolution et de changement radical de ce système qu’on nous impose.
Pourquoi est- il important que le public sache ce que fait l’entreprise minière ?
Il est important que les habitants du soi-disant Nord global sachent qu’ils participent à l’écocide, que leur qualité de vie et chaque privilège dont ils disposent signifient l’anéantissement d’autres êtres et d’un autre territoire qui est aussi celui de tous. Le démantèlement de ces entreprises aura des conséquences, comme de devenir une source d’inspiration et une invitation à la rébellion. Car avec ces informations, chaque personne aura la responsabilité d’agir en connaissance de cause. Ce que l’on tait n’existe pas.
Mise à jour (08/03/2022) : Depuis la publication du projet « Mining Secrets », le groupe de hackers « Guacamaya » a publié son propre communiqué et un tutoriel vidéo de son hacking.