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Nous avons poursuivi l’enquête de Khudayberdy Allashov sur le travail forcé dans les champs de coton au Turkménistan

Le journaliste Khudayberdy Allashov est mort le 13 août 2024, à l’âge de 35 ans après avoir été persécuté près de dix ans par le régime turkmène. En 2016, il avait osé raconter le travail forcé dans les champs de coton de ce pays d’Asie centrale. Forbidden Stories a poursuivi son travail et révèle que ce coton, banni en théorie des chaînes d’approvisionnement de l’industrie textile, continue d’inonder les rayons des magasins européens.

Employés de la compagnie nationale d’approvisionnement en eau récoltant le coton dans la région de Dashoguz, en octobre 2022 – Crédit : Turkmen.News

Par Edouard Perrin

30 janvier 2024

Partenaires du projet

Farruh Yusupov et Toymyrat Bugayev, Turkmen Service of RFE/RL

 

Équipe de Forbidden Stories 

Directeur de publication : Laurent Richard

Rédacteur en chef : Edouard Perrin 

Journaliste : Cécile Andrzejewski

Coordination de la publication : Louise Berkane

Vidéos : Anouk Aflalo Doré⁩

Fact-check : Emma Wilkie

Secrétariat de rédaction : Simon Guichard

Traduction : Amy Thorpe, Toymyrat Bugayev

Communication : Alix Loyer, Clément Le Merlus

Intégration : Thibault François

Une carrière de deux mois, pas un de plus. Pour avoir osé écrire quelques articles sur l’un des secrets les mieux gardés du Turkménistan, le journaliste Khudayberdy Allashov aura été persécuté par les forces de sécurité de son pays durant près de dix ans. Un lent supplice ponctué d’arrestations arbitraires et de longues séances de tortures, jusqu’à sa mort, le 13 août 2024, à l’âge de 35 ans. Il était père de deux enfants.

Mais qu’avait-il donc écrit de si sensible pour mériter un tel sort ? « Dans certaines régions, à une température de -15, il y a des problèmes de chauffage » titrait l’un de ses rares articles, paru le 24 novembre 2016. Un autre évoquait les « gens (qui) font la queue pour faire leurs courses un mois à l’avance ». Allashov s’intéressait aux tracas quotidiens de ses compatriotes. Mais c’est probablement son reportage intitulé « La récolte du coton se poursuit à Dashoguz », publié le 23 novembre 2016, qui a vraisemblablement scellé son sort. Car Khudayberdy Allashov avait choisi d’exercer le métier de journaliste dans son pays natal, le Turkménistan. Classé 175e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse 2024 publié par Reporters Sans Frontières, c’est l’un des États les plus fermés au monde. Une dictature dans laquelle tout ce qui est écrit doit faire l’éloge du régime, sous peine des pires représailles. Allashov travaillait pour Radio Azatlyk, le service turkmène du média américain Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) et écrivait sous pseudonyme. Malgré cette précaution, ses descriptions des conditions dans lesquelles le coton turkmène était récolté  a immédiatement attiré l’attention des autorités sur lui. Le coton, c’est l’or blanc du Turkménistan. Une des rares ressources du pays avec les hydrocarbures. Pour le récolter, le régime a coutume d’enrôler la population de force, mineurs compris. Khudayberdy Allashov a osé l’écrire, il lui en a coûté des années de persécutions qui lui auront été fatales. Forbidden Stories a choisi de poursuivre son travail. Parce que dans les champs de coton turkmènes, 8 ans après l’article d’Allashov, le travail forcé n’a jamais disparu. En dépit de réformes de façade, le régime de Gurbanguly et Serdar Berdimuhamedow (l’ancien et l’actuel président du Turkménistan, NDLR) continue d’envoyer fonctionnaires, soldats et enfants ramasser la précieuse fibre.  Forbidden Stories s’est associé avec Radio Azatlyk pour parvenir à recueillir de rares témoignages de l’intérieur. Nous avons également choisi d’enquêter sur la filière du coton turkmène. Malgré de timides réformes et des sanctions limitées, il est toujours massivement utilisé  par l’industrie textile.

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