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Les « prisonniers fantômes » de la Russie : L'enquête qui a coûté la vie à Viktoriia Roshchyna
Le corps de la journaliste ukrainienne Viktoriia Roshchyna a été rapatrié en février 2025, quatre mois après l’annonce de son décès. Capturée alors qu’elle enquêtait sur les civils ukrainiens emprisonnés illégalement dans la région de Zaporijia, elle fut elle-même détenue au secret pendant plus d’un an en territoire occupé et dans une prison russe. Forbidden Stories a retracé son parcours et révèle de nouveaux éléments sur ses derniers mois de captivité ainsi que sur les circonstances de sa mort.
(Crédit : Mélody Da Fonseca / Forbidden Stories)
- La dépouille de Viktoriiaa Roshchyna été rapatriée en Ukraine en février 2025. Elle portait des marques de torture. Plusieurs organes étaient manquants
- Deux sources de Viktoriia en territoire occupé, ainsi que sa rédactrice en chef, ont confirmé à Forbidden Stories que la journaliste s’était bien rendue à Zaporijia pour enquêter sur la torture de civils dans des centres de détention informels
- Viktoriia avait commencé à répertorier les noms des responsables de ces emprisonnements et tortures, parmi lesquels des agents du FSB, le renseignement intérieur russe
Par Phineas Rueckert avec Tetiana Pryimachuk
29 avril 2025
Des cadavres déchargés par camions entiers. 757 au total, envoyés pour autopsie dans différentes morgues d’Ukraine. Au sein de celle de Vinnytsia, ville du centre-ouest du pays, les enquêteurs étudient attentivement des dizaines de dépouilles, ce mardi 25 février 2025.
La dernière est enveloppée dans un sac mortuaire blanc. Dessus, une inscription à la main: « NM SPAS 757 ». L’acronyme est un code, en russe. « Homme non identifié, lésions étendues des artères coronaires, [numéro de corps] 757 ». Les agents ouvrent la fermeture et découvrent un autre sac noir.
A l’intérieur, le corps d’une jeune femme dans un état épouvantable. Mais les enquêteurs parviennent à distinguer une petite étiquette attachée au tibia droit. Quelques lettres en cyrillique. « Roshchyna, V.V. ».
Après des mois d’incertitude pour la famille – et d’obstruction de la part des Russes-, la dépouille de Viktoriia Roshchyna, journaliste ukrainienne, a été restituée.
Des membres du Comité international de la Croix-Rouge rapatrient les corps de 757 ukrainiens le 14 février 2025 (Crédit : Coordination Headquarters for the Treatment of the Prisoners of War – Telegram).
Qu’elle ait été renvoyée au milieu des corps de militaires aguerris et tombés au front n’a finalement rien d’un hasard. Par sa détermination à documenter les crimes commis dans les territoires occupés, Viktoriia était une prise de guerre pour la Russie.
Le rapatriement du corps de Viktoriia marque la fin d’une longue attente et d’espoirs déçus pour les proches de la seule journaliste ukrainienne à être, à ce jour, décédée dans une prison russe. Disparue à l’été 2023, elle enquêtait sur les civils ukrainiens emprisonnés et torturés par la Russie dans la région de Zaporijia, en zone occupée. Ballottée pendant plus d’un an entre au moins deux centres de détention informels et une prison russe, sa mort en captivité est annoncée par le ministère de la défense russe en octobre 2024.
Dans une lettre adressée à Forbidden Stories, les procureurs ukrainiens ont confirmé le rapatriement du corps de Viktoriia, citant une correspondance ADN à 99,999 % avec des « proches » de la journaliste. Yuriy Belousov, chef de l’unité chargée des crimes de guerre auprès du procureur général ukrainien, précise que les premières analyses médico-légales indiquent « de nombreux signes de torture et de mauvais traitements sur [son] corps, notamment des abrasions et des hémorragies sur différentes parties, une côte cassée, des blessures au cou et des traces possibles de choc électrique sur les pieds ».
Belousov ajoute que le cadavre portait des « signes d’une autopsie pratiquée avant son retour en Ukraine » et l’absence de certains organes – un prélèvement possiblement effectué pour masquer les causes de la mort. Ce qui pourrait être comptabilisé comme un crime de guerre supplémentaire.
Contactés, le père de Viktoriia et son avocate ont déclaré ne pas se satisfaire de cette expertise initiale et attendent une nouvelle analyse médico-légale.
L’annonce de la mort de la journaliste marque le point de départ du projet Viktoriia. L’équipe de Forbidden Stories l’a lancé en octobre 2024, et s’est rendu deux fois en Ukraine. Pendant trois mois, 45 journalistes de 13 médias ont uni leurs forces pour retracer le parcours de Viktoriia en Ukraine occupée et en Russie. Le consortium mené par Forbidden Stories, dont la mission est de poursuivre le travail des journalistes tués, emprisonnés ou menacés, a également poursuivi l’enquête de Viktoriia sur les « prisonniers fantômes » , ces 16 000 à 20 000 civils ukrainiens happés par un système opaque. Celui des centres de détention informels administrés par la Russie.
« Viktoriia était la seule journaliste à couvrir les territoires occupés. Pour elle, c’était une mission », raconte Sevgil Musaieva, sa rédactrice en chef à Ukrainska Pravda. « Elle était le pont entre l’Ukraine et ces territoires, et partageait des informations cruciales sur la vie [là-bas]. Après sa disparition, il n’y a plus eu aucune couverture de ce qu’il s’y passe ».
Viktoriia souhaitait raconter au monde le sort de ces civils capturés en zone occupée. Elle a fini par devenir l’une d’entre eux.
Une mission dangereuse
La disparition de Viktoriia Roschyna ne peut être racontée que par fragments. Des bribes assemblées à partir de mots prononcés entre les murs d’une prison, de souvenirs flous de témoins anonymes et de la quête d’un père inconsolable.
L’histoire de Viktoriia débute au cœur des plaines industrielles du sud-est de l’Ukraine. Plus précisément dans la région de Zaporijia. Près de 27 183 kilomètres carrés étalés entre le bassin de la mer d’Azov et le fleuve Dniepr. Depuis 2022, les deux tiers de ce territoire ont été illégalement annexés par les forces armées russes. Défigurée par trois ans de guerre et une ligne de front presque immobile, cette zone occupée est désormais un trou noir. Un endroit d’où ne s’échappe presque aucune information.
Carte de la région de Zaporijia montrant les zones d’occupation russe en Ukraine. L’Ukraine a maintenu le contrôle au nord de la région, notamment autour de la capitale, Zaporijia. L’occupation russe s’étend sur toute la partie sud, y compris sur les grandes villes de Melitopol, Enerhodar et Berdyansk.
Vika – comme l’appelaient ses collègues et sa famille – est née en 1996 dans la capitale éponyme de cette région de Zaporijia, presque cinq ans après la dissolution de l’URSS. Pour l’un de ses premiers reportages, bien avant l’invasion russe, Vika couvre une importante affaire criminelle à Berdiansk, une ville balnéaire. « Elle semblait avoir développé une affinité particulière pour ces territoires, aujourd’hui occupés », confie Sevgil Musaeiva.
Un immeuble résidentiel après une attaque russe en octobre 2022 (Crédit : Police nationale d’Ukraine / npu.gov.ua)
Une attache et même une affection qui la poussent à revenir après l’annexion russe. Entre février 2022 et juillet 2023, elle se rend « au moins quatre fois dans les zones occupées », selon Musaieva. En mars 2022, pendant l’une de ces missions, Viktoriia est arrêtée par les services de renseignement russes et détenue pendant une semaine à Berdyansk.
À sa libération, ses rédacteurs en chef, ses collègues et sa famille la supplient de ne pas y retourner. Elle ne les écoute pas. En juillet 2023, Vika, alors âgée de 26 ans, prépare un nouveau déplacement dans la région de Zaporijia, ravagée par la guerre depuis un an et demi. Son plan est très clair. « Nous avons discuté des endroits où les Ukrainiens étaient torturés et elle m’a expliqué comment elle envisageait l’enquête », se rappelle Musaieva. « Elle voulait identifier ces lieux et toutes les personnes qui étaient impliquées ».
En zone occupée
Deux témoins retrouvés par le consortium la croisent durant son enquête dans plusieurs villes de la région de Zaporijia. L’un d’eux l’a même vue deux fois au cours de l’année 2023. Il se souvient de sa nervosité. « Elle était fermée et ne disait pas grand-chose. Je ne sais pas de quoi elle avait peur. Peut-être d’être filmée par des caméras ou quelque chose comme ça », se remémore Mykola, dont le nom a été modifié car il vit toujours en territoire occupé.
Mykola l’a conduite dans sa voiture jusqu’à Berdiansk. Là, Vika se rend dans un restaurant du bord de mer, dans lequel se réunissent, selon elle, des agents du FSB (Service fédéral de sécurité russe). Plus tard, alors qu’elle souhaite revenir dans la région, la journaliste demande par message un autre service à Mykola : la conduire à Enerhodar, ville sous contrôle de l’occupant, située à plus de 200 kilomètres au nord de la côte. Cette fois-ci, il refuse en lui expliquant que la démarche serait trop risquée sans passeport russe.
Dans un témoignage exclusif à Forbidden Stories, Olga, 59 ans, donne plus de détails sur l’enquête de Vika. Originaire d’une petite ville sur les rives de la mer d’Azov, elle assure que la journaliste avait commencé à dresser une liste de responsables russes. « Elle m’a parlé de sa captivité et elle me posait toutes sortes de questions. J’ai compris qu’elle avait beaucoup d’informations et sa propre base de données sur des agents du FSB », dévoile celle qui a souhaité n’être identifiée que par son prénom.
Olga rencontre Vika pour la première fois en 2019. Après l’invasion et au péril de sa vie, elle a commencé à envoyer à Vika des photos des territoires occupés. Elles finissent par se donner rendez-vous à l’été 2022, à la gare routière de Berdyansk. Elles prévoient de se revoir en novembre de la même année, mais Vika doit quitter précipitamment la zone occupée pour des raisons de sécurité.
Malgré ce rendez-vous manqué, elles restent en contact pendant toute l’année 2023. Cet été-là, Vika lui envoie un texto et lui demande de l’aider à trouver des contacts dans les territoires contrôlés par les Russes.
Fin juillet, Vika met son plan à exécution. Depuis Kyiv, elle se rend en Pologne en minibus – où son téléphone borne peu après 14 heures le 25 juillet. Le lendemain, elle passe de Lettonie en Russie par le checkpoint de Ludonka, selon les registres du poste-frontière consultés par Forbidden Stories.
Son parcours devient alors plus difficile à retracer. Vika traverse probablement la Russie vers le sud pour se rendre dans les territoires occupés. Dans les documents remplis à la frontière, elle indique sa destination finale : Melitopol. Mais la journaliste se rend d’abord à Enerhodar en passant par Mariupol, selon une enquête vidéo publiée en mars par les journaux ukrainiens Slidstvo Info, Suspilne et Graty, en partenariat avec RSF.
Début août, Vika envoie un autre message à Mykola. Elle lui dit qu’elle sera de nouveau à Berdyansk, deux semaines plus tard.
Depuis, elle n’a plus jamais répondu.
Le 12 août, les autorités ukrainiennes déclarent la disparition de Vika. Le mois suivant, sa famille effectue un signalement officiel auprès de la police et du bureau de l’ombudsman (le défenseur des droits humains). Les services de renseignement ukrainiens commencent à enquêter, mais Vika s’est déjà volatilisée.
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Disparue sans laisser de trace
Ce n’est qu’en avril 2024, huit mois plus tard, qu’on retrouve la trace de Vika. Elle est alors détenue en Russie, selon une déclaration officielle du ministère de la défense russe envoyée à son père.
Les informations sur son sort depuis son dernier SMS, en août 2023, sont lacunaires et même contradictoires. Des premiers signes indiquent d’abord sa présence à Enerhodar, petite commune stratégique et connue pour sa centrale nucléaire. « Vika avait prévu d’écrire sur les centres de torture russes », témoigne Olga. Elle semble avoir été stoppée rapidement dans son élan.
Selon la déposition officielle d’une codétenue avec laquelle elle a été incarcérée plus tard à Taganrog, Vika pense avoir été repérée par un drone à Enerhodar, après avoir laissé son sac à dos dans l’appartement qu’elle avait loué. Elle a raconté à cette compagne d’infortune avoir été retenue « plusieurs jours » au commissariat d’Enerhodar, réputé pour organiser le « triage » de civils ukrainiens soupçonnés de résister à l’occupation.
Forbidden Stories n’a pas été en mesure de confirmer les détails de l’arrestation de Vika. Sa codétenue a été contactée, mais n’a pas souhaité répondre à nos questions. L’ancien maire d’Enerhodar, Dmitry Orlov, aujourd’hui en exil, a expliqué au consortium qu’il était plus probable que la journaliste ait été identifiée par « des caméras de vidéosurveillance » opérée par les Russie plutôt que par un drone. Sans en avoir la preuve définitive.
Une chose est sûre: Viktoriia a été transférée d’Enerhodar à Melitopol, ville que la Russie revendique comme capitale régionale depuis l’annexion. Deux témoignages indiquent que Vika fut envoyée dans l’un des centres de détention et de torture de Melitopol, plus connus sous le nom de « garages ».
Situés dans une zone industrielle, sous un pont reliant le centre historique à la partie moderne de la ville, les « garages » sont tristement célèbres pour les traitements inhumains infligés aux prisonniers, détenus illégalement. Une proche d’un otage explique que la plupart des habitants connaissent quelqu’un qui a été torturé dans ces garages. « On peut entendre les hurlements d’hommes et de femmes », raconte-t-elle.
Evgueni Markevitch est un prisonnier de guerre qui a croisé Viktoriia en détention, après le passage de la journaliste par les « garages ». « Elle a été fouettée et torturée, comme tous les autres à Melitopol », présume-t-il, estimant qu’elle a sans doute été également soumise à du travail forcé pendant sa captivité.
Dans sa déposition aux autorités ukrainiennes, une ancienne codétenue de Vika a confirmé avoir vu des cicatrices sur les bras et jambes de la journaliste qui semblaient causées par des coups de couteau, ainsi que d’autres blessures.
Melitopol n’est qu’une étape pour Vika, plongée dans les abysses du système carcéral russe. Fin décembre, elle est transférée plus à l’est, dans une ville russe au bord de la mer d’Azov, devenue synonyme des pires violences depuis les goulags soviétiques : Taganrog.
« Elle n'avait pas peur de la mort. »
En mai 2022, trois mois après l’invasion de l’Ukraine, cet ancien lieu de détention pour mineurs accueille désormais des prisonniers de guerre ukrainiens. Cette forteresse à la façade vert chartreux abrite le centre de détention provisoire SIZO-2.
Là, des soldats aguerris sont souvent passés à tabac à leur arrivée – un rite connu sous le nom d’ « accueil ». Quatre prisonniers en sont morts, selon les informations fournies par une source au sein des services de renseignement ukrainiens. Au total, 15 détenus ukrainiens seraient décédés au SIZO-2 entre 2022 et l’automne 2024, selon cette même source.
C’est là que Vika, silhouette chétive, a passé près de neuf mois, de fin décembre 2023 à début septembre 2024. « Elle partageait une petite cellule avec trois autres femmes civiles » indique Yevgeny Markevich, dont la geôle se trouvait deux portes plus loin. Markevich se rappelle de la voix de Vika. Il l’entend pendant les contrôles quotidiens. Elle hurle souvent après les gardiens. « Elle les traitait de bourreaux, d’assassins », se remémore Markevich. « Personnellement, je l’admirais. Aucun d’entre nous n’était comme elle. Je ne connais personne d’autre qui ait choisi de s’infliger cela. Elle n’avait pas peur [de la mort]. »
À Taganrog, les gardiens ont carte blanche pour infliger toutes sortes d’exactions, auxquelles il est peu probable que Viktoriia ait échappé. Dix anciens détenus ont décrit à Forbidden Stories une torture institutionnalisée. Ils racontent avoir été battus, reçu des décharges électriques, été suspendus par les pieds, immergés longuement dans l’eau au point d’être presque noyés, et subi bien d’autres sévices violents et humiliants.
Selon Mykhailo Chaplya, un prisonnier de guerre détenu à Taganrog et libéré en septembre 2024, les interrogateurs avaient pour consigne de pousser à l’extrême la douleur infligée aux détenus, sans les tuer. Selon lui, cette limite aurait pu être franchie pour Vika. « Ils sont allés trop loin », poursuit-il. « Ce qui les intéresse, c’est que les prisonniers soient vivants, mais en piteux état. Maintenir un prisonnier en vie, c’est un moyen pour eux de pouvoir l’échanger ».
À l’été 2024, l’état de santé de la journaliste se dégrade et elle ne s’alimente plus, selon plusieurs sources. Vika est alors hospitalisée. « Elle était dans un tel état qu’elle ne pouvait même plus relever sa tête de l’oreiller », a déclaré l’une de ses co-détenues dans une déposition aux autorités ukrainiennes.
Un autre ancien détenu de Taganrog qui a rencontré Vika confirme : « Ils n’en ont rien eu à faire jusqu’à ce qu’elle se sente vraiment au plus bas, et à ce moment-là, ils l’ont fait sortir. Un médecin est venu, l’a examinée et elle a été hospitalisée. Personne ne sait où. Elle est revenue avec une « aiguille papillon » sur le bras – ils l’avaient mise sous perfusion et forcée à manger ».
Une mort violente ?
Fin août 2024, plusieurs mois après l’hospitalisation de Vika, le téléphone de Volodymyr Roschyna sonne. Un numéro russe s’affiche. Au bout du fil, il entend la voix de sa fille Vika pour la première fois depuis plus d’un an.
La conversation se fait en russe et non en ukrainien. « Elle n’était donc pas seule », estime Volodymyr dans une longue interview accordée à Forbidden Stories à Kryvyi Rih, une petite ville de l’est de l’Ukraine où il vit toujours, en dépit du bruit constant des missiles russes lancés de l’autre côté du front. « Elle m’a dit : ‘on m’a promis que je rentrerais en septembre » et que nous devions nous préparer à la retrouver’ », se souvient Volodymyr.
Durant cette brève conversation, Volodymr et sa femme ont encouragé Vika à manger. Elle l’a assuré à ses parents, puis leur a dit au revoir. Volodymr a tenté de rappeler le numéro, mais il est tombé sur un répondeur automatique.
Selon Yevgenia Kapalkina, l’avocate de la famille, cet appel était le résultat de négociations de « haut niveau » entre Russes et Ukrainiens. Pour les proches, ce coup de fil semblait présager de la libération imminente de Vika. Sa rédactrice en chef, Sevgil Musaieva, se rappelle d’une discussion avec un journaliste étranger. Ce dernier avait appris par les services de renseignement que Vika serait libérée dans un échange de prisonniers prévu pour mi-septembre. Mais deux semaines plus tard, lorsqu’un bus de prisonniers de guerre ukrainiens est arrivé à Kiev, Vika n’était pas parmi eux.
Les jours défilent et septembre s’achève. L’espoir se dissipe doucement. Vika aurait-elle à nouveau disparu ?
En octobre, Volodymr reçoit un mail du ministère de la défense russe. Dans un langage laconique et protocolaire, la lettre annonce la mort de sa fille en captivité en Russie. La date du décès est précisée : le 19 septembre 2024.
Désormais, les seuls indices sur la cause et la date de sa mort pourraient provenir de son corps, ou être murmurés par d’anciens détenus.
La dépouille de Vika a été congelée et momifiée. Les ecchymoses sur son cou correspondent à une possible fracture de l’os hyoïde, un traumatisme rare et généralement associé à un étranglement, selon une source proche de l’enquête officielle.
Jusqu’à présent, les experts ukrainiens n’ont pas tranché la cause du décès. En effet, selon cette même source, le corps de Vika a été restitué avec plusieurs parties du corps manquantes, notamment au niveau du cerveau, du larynx et des globes oculaires, ce qui correspond à une possible tentative de dissimuler les raisons de sa mort.
Vika aurait-elle été étranglée à mort pendant son transfert vers la liberté ? A-t-elle fait une hémorragie cérébrale ? Quelque chose s’est-il mal passé pendant le transfert, ou s’agissait-il d’anciennes blessures ?
Selon plusieurs sources, Viktoriia a été extraite de sa cellule le 8 septembre, soit près de deux semaines avant la date officielle de son décès. Mais pour l’instant, ni le parquet, ni Forbidden Stories et ses partenaires n’ont été en mesure de déterminer ce qu’il s’est passé durant ce laps de temps.
Aucun des responsables russes sollicités par le consortium – le Kremlin, le Service fédéral de sécurité (FSB) et le Service pénitentiaire fédéral (FSIN), ainsi que plusieurs hauts responsables de Taganrog – n’a répondu à nos questions.
L’ancien détenu de Taganrog qui a croisé Vika se souvient de ce jour-là. « Avec l’aide d’un autre prisonnier, elle est descendue au moment où ils étaient censés procéder à l’échange» raconte-t-il. « Puis un agent de sécurité est venu nous dire que la journaliste n’était pas parvenue jusqu’à l’échange et a lâché : “C’est entièrement de sa faute” ».
Volodymyr Roshchyna, lui, se refuse à croire au décès de sa fille. La famille et son avocate attendent les résultats d’une deuxième analyse ADN, ainsi que d’autres contre-expertises.
« Je ne sais toujours pas ce qui lui est arrivé et pourquoi elle ne faisait pas partie de l’échange du 13 septembre 2024 », raconte-t-il. « Ma famille me soutient, on prie pour Vika et on est convaincus que tout ira bien ».