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Propaganda Machine : plongée au cœur de l’influence russe en Afrique
Il lui aura fallu deux longues années avant d’enfin oser parler. Pour la première fois, Fidèle Ephrem Yalike-Ngonzo dévoile son identité et rend public son témoignage. Réfugié loin de sa Centrafrique natale, le journaliste de 29 ans décrit pour la première fois de l’intérieur les rouages de la mécanique de propagande russe à l’œuvre en Afrique.
(Visual : Mélody Da Fonseca)
Par Edouard Perrin
21 Novembre 2024
Partenaires du projet
Le Monde, Paper Trail Media, Der Spiegel, Der Standard, RFI, Radio France, IStories, Dossier Center, The Continent, Actualite.cd
Équipe de Forbidden Stories
Directeur de publication : Laurent Richard
Rédacteur en chef : Edouard Perrin
Journaliste : Léa Peruchon
Coordination de la publication : Louise Berkane
Fact-check : Emma Wilkie, Colby Payne
Secrétariat de rédaction : Simon Guichard, Christopher Knapp
Traduction : Amy Thorpe
Communication : Clément Le Merlus, Matthieu Gerrer, Emma Chailloux
Graphisme : Mélody Da Fonseca
Vidéos : Anouk Aflalo Doré
Intégration : Thibault François
Il lui aura fallu deux longues années avant d’enfin oser parler. Pour la première fois, Fidèle Ephrem Yalike-Ngonzo dévoile son identité et rend public son témoignage. Réfugié loin de sa Centrafrique natale, le journaliste de 29 ans décrit pour la première fois de l’intérieur les rouages de la mécanique de propagande russe à l’œuvre en Afrique.
Tout commence en juin 2022 quand Forbidden Stories lance le projet « Story Killers » afin d’enquêter sur l’industrie mortelle de la désinformation à travers le monde. Parmi les pistes d’enquête privilégiées par les journalistes du consortium figurent les opérations d’influence russes en Afrique. Dans ce cadre, à l’automne 2022, une journaliste de Forbidden Stories ainsi que deux collègues du Guardian et de Paper trail media rencontrent secrètement Ephrem Yalike. Dans un hôtel de Johannesbourg, en Afrique du Sud, il leur révèle qu’il travaille pour les Russes en République centrafricaine. Preuves à l’appui, il explique comment il participe directement à la machine d’influence mise en place par les hommes de Wagner et conçue pour faire avancer l’agenda russe dans le pays.
Il nous aura donc fallu attendre deux ans pour rendre publiques ses révélations. Deux années durant lesquelles, menacé, il a dû se cacher avant de finalement fuir en exil.
Dans le secret le plus total, de 2019 à 2022, il a activement contribué à la propagation de fausses nouvelles, promu des manifestations anti-occidentales et alimenté un argumentaire favorable au régime centrafricain et à ses soutiens venus de Moscou.
« Ils sont capables de t’abattre »
S’il a accepté de partager avec nous son expérience et les documents qui en attestent, c’est pour dénoncer les actions auxquelles il a participé et dévoiler de l’intérieur les méthodes utilisées. Mais c’est surtout pour révéler les pressions dont il a d’abord été le témoin, puis la victime.
« Petite main » des conseillers de l’ombre de la galaxie Wagner à Bangui, il a pu constater à quel point il était dangereux de ne pas suivre leur ligne, sans parler d’oser s’y opposer ouvertement. « Rester en Centrafrique et le dénoncer, c’est risquer sa vie (…) si tu te lèves pour dire toutes les vérités qui vont à l’encontre de leurs intérêts, ils sont capables de t’abattre » prévient-il. À l’heure où l’influence russe ne cesse d’étendre sa toile en Afrique, relayer le témoignage de Ephrem Yalike nous semble essentiel.
Dans le cadre de cette enquête, Forbidden Stories et ses partenaires ont contacté des journalistes au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger. Ceux qui nous ont répondu l’ont fait de façon totalement anonyme. Partout, le même constat : un climat de peur omniprésent et une autocensure totale concernant les enjeux de sécurité. « La présence russe a changé notre façon de traiter l’information. Les journalistes ont été achetés par des Russes via la junte pour faire de la désinformation » nous dit l’un d’eux. Hormis la propagande favorable aux juntes et à leurs alliés de Moscou, les activités russes, militaires ou civiles, font l’objet d’une omerta complète. « Les Russes ont réussi à transformer le paysage médiatique chez nous. Avec leur (…) traque de l’information, en infiltrant les groupes sur les réseaux sociaux et en ciblant les personnalités critiques du régime, tout le monde a peur et personne n’ose plus parler même au téléphone car on pense être sur écoute » nous confie un autre.
Quant aux journalistes qui s’étaient spécialisés dans la chasse aux « fake news », ils ont tout simplement cessé leur travail, face aux risques qu’ils encourent désormais.