Forbidden Stories
Gaza Project

Gaza : quand la guerre des drones vire à l’hécatombe pour les journalistes palestiniens

Dans sa guerre contre Gaza, Israël affirme prendre les plus strictes précautions afin d’éviter les victimes civiles dans son usage des drones de combat. Mais depuis le 7 octobre, au moins 18 professionnels des médias ont été touchés. Un ensemble d’indices qui accréditent l’hypothèse d’un ciblage des journalistes par l’armée israélienne à Gaza.

(Visuel : Mélody Da Fonseca)

Points clés
  • Plus de 18 journalistes auraient été tués ou blessés par des drones à Gaza depuis le 7 octobre. Au moins quatre d’entre eux étaient clairement identifiables comme journalistes et portaient des gilets siglés « Press ».
  • Depuis le 7 octobre, des frappes de drones ont été pilotées par le programme Lavender, qui recourt à l’intelligence artificielle pour dresser une liste de cibles à abattre.
  • Les drones sont équipés de technologies permettant d’éviter les victimes civiles, mais sont utilisés dans le cadre d’une stratégie plus large de riposte disproportionnée contre les civils, y compris les journalistes.

Par Mariana Abreu

25 juin 2024

Avec Aïda Delpuech et Eloïse Layan

Traduit par Paciane Rouchon

Avec la participation de Walid Batrawi ; Phineas Rueckert, Sofía Álvarez Jurado, Youssr Youssef (FS) ; Hoda Osman (ARIJ) ; Yuval Abraham (+972) ; Arthur Carpentier et Madjid Zerrouky (Le Monde) ; Maria Christoph, Maria Retter, Dajana Kollig, Christo Buschek (PTM).

Ils sont quatre journalistes à se hisser au sommet de la colline de Tal Al-Zaatar, dans le nord de la bande de Gaza, dans l’après-midi du 22 janvier 2024. Anas Al-Sharif, Mahmoud Shalha, Emad Ghaboun et Mahmoud Sabbah font partie des rares reporters encore présents dans la zone. Depuis l’offensive israélienne lancée à l’automne, après l’attaque terroriste du 7 octobre menée par le Hamas sur le sol israélien, ils couvrent la famine qui s’est emparée du nord de Gaza. Alors qu’ils cherchent à se connecter à internet pour transmettre leurs derniers reportages à leurs rédactions, une explosion les propulse à terre.

Anas Al-Sharif n’est que légèrement blessé au niveau du dos. Vêtu de son gilet « Press », il se fraie un chemin à travers l’épais nuage de fumée en direction de ses collègues, qui gisent dans les décombres maculés de sang. Emad Ghaboun est transporté en urgence vers un hôpital à proximité à l’avant d’un bulldozer. Un civil perd aussi la vie dans cette attaque. Plus tard, les journalistes se rappelleront avoir repéré un « drone de surveillance » les prenant en joue. Bien que nous n’ayons pas pu obtenir d’images en temps réel de la frappe, une vidéo prise par Anas Al-Sharif et analysée par des experts consultés par le consortium renforce cette hypothèse.

La vidéo tournée après l’attaque à Tal Al-Zaatar, partagée dans le compte X d’Anas Al-Sharif.

Pendant quatre mois, une équipe de 50 journalistes, coordonnée par Forbidden Stories, a enquêté sur plus de cent professionnels des médias blessés ou tués par l’armée israélienne à Gaza. Nos résultats suggèrent qu’au moins 18 d’entre eux auraient été touchés par des tirs de précision émanant de drones de combat. Quatre de ces victimes portaient des gilets « Press » et étaient clairement identifiables comme journalistes au moment de l’attaque. Une violation du droit international démentie par Israël, qui certifie « ne pas avoir délibérément visé de journalistes » depuis le 7 octobre. Ce qui est arrivé à Tal Al-Zaatar n’est pourtant pas un cas unique.

Le drone, une arme à la précision chirurgicale

Le droit international humanitaire impose aux armées de distinguer les combattants des non-combattants et de réserver les attaques directes aux cibles militaires, en évitant les pertes civiles excessives ou dommages disproportionnés par rapport à l’objectif visé. Le ciblage intentionnel de civils — y compris de journalistes — constitue un crime de guerre.

De l’avis général des experts, les drones sont capables de réduire au minimum le nombre de victimes civiles. Au cours d’une campagne militaire israélienne menée contre le Hamas en 2021, ils permettaient par exemple une « annulation en temps réel » des tirs qui menaçaient d’engendrer des victimes collatérales, d’après une analyse publiée en 2022 par la chercheuse israélienne Lirian Antebi, spécialiste des technologies militaires. La récurrence des faits observés soulève donc une question centrale : comment autant de journalistes ont-ils pu être abattus par des drones?

Moins volumineux que ceux embarqués à bord des avions de chasse, les explosifs des drones de combat sont capables d’atteindre leur cible avec une précision chirurgicale, « à moins de trente centimètres de l’endroit où on pointe notre laser », précise Brandon Bryant, un ancien sergent-chef de l’armée de l’air américaine. « Avec le drone, le rayon de létalité est de quelques mètres seulement. Vous allez pouvoir faire un petit tour du bâtiment avant, vérifier qu’il n’y a pas des civils à côté (…) et éviter, pour des questions d’image, d’exploser trop de monde autour », confirme auprès de Forbidden Stories un spécialiste français des drones de combat qui souhaite rester anonyme.

Pourtant, le 22 janvier 2024, au sommet de cette colline de Tal Al-Zaatar, une explosion a eu lieu « au beau milieu du groupe », témoigne Anas Al-Sharif. Le bourdonnement caractéristique que l’on entend dans la vidéo qu’il a enregistrée quelques instants après l’explosion est « sans aucun doute celui d’un drone », atteste l’ancien sergent-chef Brandon Bryant, qui a plus de 6 000 heures de vol à son actif. « Je n’oublierai jamais ce bruit », ajoute-t-il, avant de préciser qu’il s’agit d’un engin « équipé d’un moteur à hélice, volant à basse altitude et se déplaçant lentement ».

Une évaluation confirmée par un chercheur allemand, spécialiste des drones et des systèmes de défense, qui a répondu aux questions du consortium sous couvert d’anonymat. « Le son en arrière-plan ressemble en effet à celui produit par les drones utilisant des moteurs à pistons ou des turbopropulseurs », décrypte-t-il.

Pour analyser les bandes audios des vidéos collectées par le consortium, Forbidden Stories a fait appel à Earshot, une organisation à but non lucratif spécialisée dans l’analyse d’enregistrements audios. Leurs résultats, couplés aux éléments récoltés par le consortiumindiquent qu’Israël utilise actuellement des drones turbopropulsés et des drones munis de moteurs à piston, dans le cadre de missions de reconnaissance et de frappes aériennes à Gaza.

À Tal Al-Zaatar, les traces laissées par l’explosion suggèrent l’utilisation d’un missile doté d’une faible charge explosive, poursuit Brandon Bryant, un type de missile habituellement embarqué à bord des drones. « S’ils larguaient des bombes depuis des avions de chasse ou des F-16, les personnes en dessous seraient désintégrées, il n’y aurait aucun survivant, déclare-t-il. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une attaque de drone. » Selon les renseignements recueillis par Forbidden Stories en source ouverte, toutes les infrastructures environnantes avaient déjà été détruites avant la frappe, ce qui exclut la possibilité que le missile ait visé des bâtiments environnants.

Sollicitée par le consortium, l’armée israélienne a déclaré ne pas avoir connaissance de frappes à cet endroit en Janvier dernier.

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« L’armée israélienne est extrêmement bien renseignée sur les personnes qu'elle cible »

Si certains experts louent la précision des drones, d’autres rappellent qu’une frappe chirurgicale ne signifie pas que celle-ci soit légale ou légitime. Pour James Rogers, spécialiste des drones à l’Université de Cornell aux États-Unis, la précision peut permettre d’épargner des vies civiles, comme de les viser : « C’est simplement la garantie d’atteindre sa cible », résume le chercheur. « Nous vivons dans un monde dans lequel les drones sont très prolifiques, avec un éventail d’acteurs étatiques et non étatiques, reprend-il. Certains cherchent à réduire les coûts de la guerre et d’autres à en maximiser les dommages. »

Les télécommunications sont un élément central dans l’acquisition de cibles par les opérateurs chargés d’ordonner les frappes de drones. D’après les experts, les activités en ligne peuvent être interceptées pour révéler l’emplacement d’une personne. Les frappes de drones sont alors dirigées vers le téléphone utilisé pour se connecter. « La guerre des drones opère dans un contexte de renseignement qui exploite le réseau internet et les infrastructures de communication, explique Khalil Dewan, avocat et chercheur spécialiste des drones de combat. Ce qui fait que l’armée israélienne est extrêmement bien renseignée sur les personnes qu’elle cible. » Dans ce contexte de « guerre des drones », poursuit le spécialiste, les téléphones portables, les cartes SIM, les réseaux sociaux et la diffusion de contenus en direct font courir le risque à l’utilisateur d’être identifié comme une cible.

Tout comme les êtres humains sont dotés de sens — ils entendent, voient et sentent —, les drones disposent de capteurs embarqués et d’une liaison radio qui transfère les données collectées à un opérateur posté dans une station au sol, chargé d’identifier les cibles à abattre. Des caméras infrarouges et des capteurs photosensibles permettent également une confirmation visuelle, à condition que les conditions météorologiques soient favorables et que le drone vole suffisamment bas.

Bryant, qui a piloté le drone MQ-1B Predator, un modèle aujourd’hui retiré, souligne que la visibilité était déjà bonne au début des années 2010. Bien qu’il ne soit pas possible de distinguer les détails d’un visage, « lorsque nous nous rapprochions suffisamment, nous arrivions à distinguer un détail sur un vêtement, et je dirais que la définition des caméras s’est améliorée depuis. » « Vous pouvez voir la taille d’une personne, vous pouvez dire d’après sa démarche s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, s’il est gros ou mince », précise de son coté une source militaire israélienne, qui a travaillé avec des drones.

(TW) Des images divulguées d’un drone israélien, diffusées par Al Jazeera, montrent une série de frappes israéliennes sur un groupe de Palestiniens apparemment désarmés dans la région de Khan Younès, illustrant la qualité de l’image et les capacités de zoom de certains modèles de drones employés par les israéliens

D’après plusieurs experts interrogés par Forbidden Stories, certains modèles de drones utilisés par l’armée israélienne offrent une visibilité suffisamment bonne pour que l’opérateur puisse distinguer un gilet portant l’inscription « Press ». « On ne peut en aucun cas imaginer que des soldats aient la permission de tirer sur une personne clairement identifiée comme journaliste, qui n’a pas pris part aux hostilités », déclare Asa Kasher, auteur du Code d’éthique de l’armée israélienne, rédigé en 1994.

« Je suis sûr qu’il a filmé jusqu’au bout »

Le 15 décembre, Samer Abu Daqqa, un caméraman d’Al Jazeera, âgé de 45 ans, père de quatre enfants, filme les destructions dans le centre de Khan Younès avec son ami et collègue Wael Al-Dahdouh, l’un des journalistes les plus éminents de Gaza. Vêtus de leurs gilets siglés « Press », les deux journalistes accompagnent une unité de protection civile, composée de secouristes et de pompiers. Alors qu’ils terminent leur reportage et s’apprêtent à regagner leurs véhicules, ils sont touchés par ce que des témoins, des organisations indépendantes et Al Jazeera reconnaissent comme étant une frappe de drone. « Je me suis effondré à terre, j’arrivais à peine à me relever, ma tête tournait et je m’attendais à ce qu’un deuxième missile nous frappe à tout moment » déclarera plus tard Wael Al-Dahdouh à Al Jazeera depuis son lit d’hôpital.

Wael Al-Dahdouh dit avoir vu trois membres de l’équipe au sol, morts sur le coup. Et plus loin, son collègue Samer Abu Daqqa, blessé au niveau des jambes, mais encore vivant. 

Blessé au bras, Wael Al Dahdouh parvient tant bien que mal à rejoindre les véhicules de l’unité de protection civile garés à quelques centaines de mètres. « J’ai demandé aux ambulanciers de retourner chercher Samer, mais ils m’ont répondu qu’il fallait partir immédiatement et envoyer un autre véhicule pour éviter d’être ciblés », raconte le journaliste au micro d’Al Jazeera. Une « nuée de drones » flottait autour d’eux, décrit-il.

Après avoir été bloqués durant cinq heures, et après autorisation de l’armée israélienne, les secouristes reviennent finalement sur le lieu de l’explosion. Ils y trouvent le gilet de presse de Samer Abu Daqqa reposant contre un mur. « Pour nous, ça a tout de suite été le signe qu’il était en vie et qu’il avait retiré sa veste parce qu’elle était trop lourde à porter », se souvient Bilal Hamdan, l’un des secouristes. Au bout d’une demi-heure, un autre secouriste retrouve le corps « en lambeaux » de Samer Abu Daqqa. L’équipe conclut qu’il a été touché à au moins deux reprises. « Je suis sûr qu’il a filmé jusqu’au bout, il était tellement professionnel », témoigne Ibrahim Qanan, un collègue de Samer Abu Daqqa.

Les funérailles du caméraman d’Al Jazeera Samer Abu Daqqa, tué en mission le 15 décembre 2023. (Crédit : Belal Khaled / Anadolu)

Dans un entretien avec Forbidden Stories, Al Jazeera confirme porter le cas de Samer Abu Daqqa devant la Cour pénale internationale, en tant que potentiel crime de guerre et crime contre l’humanité. L’avocat Rodney Dixon insiste sur le fait qu’Al Jazeera n’a décelé jusqu’à présent aucune preuve de la nécessité d’attaquer le groupe dans lequel se trouvait Samer Abu Daqqa, « ce qui revient donc à cibler délibérément des journalistes civils ». Contactée par le consortium, l’armée israélienne n’a pas fourni d’informations sur les cibles militaires visées ce jour-là, ni sur l’objectif atteint par cette frappe. Un porte-parole militaire israélien a déclaré que le cas d’Abu Daqqa était en cours d’examen.

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L’ombre de Lavender

Pour l’avocat et chercheur Khalil Dewan, la guerre des drones menée par Israël est particulièrement inquiétante : « C’est une obligation légale de distinguer les combattants des non-combattants, rappelle-t-il, et même si Israël prétend détenir l’armée la plus morale au monde, cela reste sujet à débat étant donné le nombre colossal de victimes civiles rapporté par les médias ».

L’enquête menée par le consortium démontre, experts à l’appui, que l’armée israélienne dispose de toute la technologie et des moyens nécessaires pour éviter les dommages collatéraux. « L’armée israélienne sait très bien ne pas faire de victimes collatérales », insiste une experte française en intelligence artificielle et en technologie militaire, qui requiert l’anonymat. « Mais pour l’instant, il n’y a aucune volonté politique en ce sens, observe-t-elle. La politique actuelle tend plutôt vers une stratégie de riposte disproportionnée. »

Comme le révélait le média +972, Israël a élargi l’autorisation de bombarder des cibles non-militaires et assoupli les contraintes en matière de protection des civils depuis le mois d’octobre. L’armée utilise également plusieurs programmes basés sur l’intelligence artificielle pour identifier ses cibles. C’est le cas de Lavender, un programme ayant généré une liste de plus de 37 000 personnes à abattre, utilisé depuis le 7 octobre pour piloter les frappes ciblées de certains drones, d’après les informations du consortium.

L’enquête de +972 et de Local Call a révélé que la méthode de Lavender pour identifier les cibles consiste à évaluer la quasi-totalité de la population palestinienne de Gaza sur la base de certaines caractéristiques, censées permettre de cibler précisément les Gazaouis susceptibles d’être des militants du Hamas. Selon un livre écrit par le chef de l’unité 8200 et paru en 2021, la division d’élite du renseignement israélien, changer fréquemment de téléphone portable et d’adresse, ou encore partager des groupes Whatsapp en commun avec des membres du Hamas pourraient aussi être des facteurs pris en compte par l’IA pour cibler les habitants de Gaza. 

D’après un membre du renseignement militaire israélien, qui s’est adressé au consortium sous couvert d’anonymat, il se pourrait que Lavender identifie par erreur des journalistes comme étant des membres du Hamas, une organisation qualifiée de mouvement terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. Une hypothèse « plausible » selon lui, bien qu’il ne soit pas en mesure de la démontrer. Il se souvient notamment du cas d’un journaliste qui aurait été épargné « de justesse ».  Plusieurs autres sources ont déclaré qu’à leur connaissance, l’armée israélienne ne disposait pas d’une liste de journalistes palestiniens à Gaza, permettant de les écarter des listes générées par l’intelligence artificielle.

Une autre source militaire israélienne explique comment ce genre de confusion pourrait survenir : « Il est fréquent pour un journaliste à Gaza de se trouver dans des boucles WhatsApp avec des membres du Hamas, certains échangent régulièrement avec des responsables ou des militants, il est donc logique que Lavender puisse les étiqueter comme des militants. »

Des erreurs semblables se sont déjà produites par le passé. Au début des années 2010, un document confidentiel de l’Agence nationale de la sécurité américaine (NSA) révélait que les États-Unis avaient qualifié par erreur Ahmad Muaffaq Zaidan, chef du bureau d’Al Jazeera à Islamabad, de messager d’Al-Qaïda, le plaçant ainsi sur une liste de terroristes présumés. Le document en question faisait référence au programme SKYNET, qui analyse les métadonnées des utilisateurs dans le but d’y détecter des comportements suspicieux. Les cibles identifiées par ce programme pouvaient ensuite être exécutées par des frappes de drones ciblées.

Comme Israël, le gouvernement américain garantissait une présence humaine derrière l’intelligence artificielle. Mais d’après Jennifer Gibson, une avocate spécialisée dans les droits de l’Homme qui connaît bien le cas d’Ahmad Muaffaq Zaidan, le système est tellement défectueux que la question « n’est plus de savoir si oui ou non une personne appuie sur le bouton, à partir du moment où c’est la machine qui a choisi sa cible. »

Questionnée sur la présence éventuelle de journalistes touchés par des tirs de drones dans la liste dressée par Lavender, l’armée israélienne a déclaré « ne pas utiliser de systèmes d’intelligence artificielle pour identifier les combattants »

Une fragmentation de la chaîne de responsabilité ​

La liste des journalistes victimes d’attaques de drone est longue. 

Ahmed Fatima, photojournaliste travaillant en parallèle pour la Maison de la Presse à Gaza, une organisation à but non lucratif qui soutient les médias indépendants  palestiniens, a été tué par un drone le 13 novembre 2023. Plusieurs témoins disent avoir aperçu un drone israélien abattre le journaliste à une cinquantaine de mètres de sa maison, alors qu’il tenait son fils de 6 ans, blessé, dans ses bras. D’après sa veuve, Ahmed Fatima tentait de conduire l’enfant à l’hôpital après le bombardement de leur maison.

En réponse aux questions du consortium, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré que la frappe visait « une infrastructure terroriste et un agent militaire du Hamas. »

Le 24 janvier 2024, Abdallah Al Hajj, a quant à lui échappé de peu à la mort. Ce photojournaliste travaillant pour l’UNRWA et le quotidien Al Quds basé à Jérusalem, était l’un des rares à réaliser des photos aériennes depuis Gaza, avec son drone. Ses images ont fait le tour du monde.

Ce jour-là, le journaliste s’était rendu sur place pour « montrer au monde l’ampleur des destructions.» Après avoir tourné quelques images, « j’ai rangé mon drone et me suis dirigé vers des pêcheurs qui vendaient du poisson. À la seconde où j’ai demandé le prix, j’ai été pris pour cible (…) J’ai perdu connaissance pendant trois jours.» Il est aujourd’hui soigné au Qatar, où des membres du consortium l’ont rencontré. Il est amputé des deux jambes, au-dessus des genoux.

Le lendemain de l’attaque, l’armée a par ailleurs publié sur X des images du raid, affirmant avoir « éliminé plusieurs terroristes ».

Le lendemain de l’attaque, des images qui correspondent à la frappe contre Al Hajj ont été publiées par l’armée israélienne sur X

Un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré que l’ attaque visait une cellule terroriste utilisant un drone ».

« [ Un journaliste tué ] cela ne devrait jamais arriver, pas même une seule fois », déclare Asa Kasher, l’auteur du Code d’éthique de l’armée israélienne à Forbidden Stories. « Aucun membre de la presse n’aurait dû être tué dans des circonstances normales d’hostilités à Gaza. C’est illégal. C’est contraire à l’éthique. Le responsable doit être traduit en justice ».

Dans le cadre d’une guerre des drones, il est cependant peu probable que les responsables aient à rendre des comptes, d’après Lisa Ling, une ancienne sergente, chargée des systèmes de surveillance par drones de l’armée américaine. « Il y a une fragmentation de la responsabilité, chaque chaînon dispose de très peu d’informations, et les paramètres déterminants sont si nombreux qu’il est vraiment difficile de désigner un responsable », développe-t-elle.

En réponse au consortium, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré qu’aucune frappe aérienne n’est « menée sans la supervision, l’approbation et l’exécution finale des officiers de l’IDF » et que « l’IDF ne dirige ses frappes que vers des cibles militaires et des agents militaires et mène ses frappes conformément aux règles de proportionnalité et de précaution dans les attaques ».

Lors de l’élaboration des règles relatives aux assassinats ciblés au début des années 2000, la division juridique internationale de l’armée israélienne stipule que seuls les individus participant directement aux hostilités peuvent constituer une cible. « La logique était d’y avoir recours avec parcimonie, contre les personnes les plus haut placées et uniquement lorsqu’il n’y a pas d’autre solution, avait affirmé en 2018 à The Intercept  Gabriella Blum, qui a participé à la rédaction de ces directives. Cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. »

(TW) Le gilet de presse de Wael Al-Dahdouh montré par l’un de ses collègues, suite à l’attentat qui a coûté la vie à Samer Abu Daqqa à Khan Younès. (Crédit : Hatem Hany / Instagram).

L’ancienne sergente américaine, Lisa Ling, qualifie quant à elle de « nauséabonde » l’idée selon laquelle les gens pourraient « s’habituer » à la présence constante de ces drones : « Lorsqu’un drone armé vole au-dessus de vous pendant un temps excessivement long, c’est de la terreur ».

Depuis qu’ils ont été touchés, plusieurs journalistes ont confié au consortium être inquiets à l’idée de porter leurs gilets de presse. Certains les enfouissent dans leurs sacs et ne les sortent que devant la caméra. Aujourd’hui rétabli, Emad Ghaboun estime que « le gilet de protection lui-même est devenu un moyen de cibler, plus qu’un moyen de protéger. »

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