Forbidden Stories
Baku Connection

De l’Azerbaïdjan à nos smartphones : comment l’or de la colère finit dans nos produits high-tech

En juin 2023, une journaliste d’Abzas Media est intimidée et brièvement arrêtée pour son travail sur la mine d’or Gedabek, dans l’ouest du pays. En cause: un immense lac artificiel de boues cyanurées où sont déversés les résidus de la mine. Une eau qui serait à l’origine, selon les habitants, de nombreuses maladies et de graves pollutions. En poursuivant l’enquête de l’équipe d’Abzas Media aujourd’hui derrière les barreaux, nous avons suivi la trace de cet or qui termine sa route dans les voitures Tesla, nos smartphones Apple ou nos ordinateurs HP.

Par Léa Peruchon

1 février 2024

Traduit par Sophie Stuber

Contributeurs : Leyla Mustafayeva, Lamiya Adilgizi (pour Forbidden Stories), Sofía Alvarez Jurado (Forbidden Stories), Corentin Bainier (France 24), Virginie Pironon (Radio France), François Ruchti (RTS).

C’est David contre Goliath mais version 2023, en Azerbaïdjan. Au premier plan, une femme, la soixantaine passée, foulard traditionnel sur la tête, avance péniblement. Derrière elle, des dizaines de policiers anti-émeutes tout en noir, quasiment sortis d’un film de science fiction avec casques intégraux, boucliers géants et matraques. La manifestante, qui boite, est rattrapée et aspergée de gaz lacrymogène par un policier.

En juin 2023, cette image choc fait le tour des réseaux sociaux azerbaïdjanais. Les vidéos des manifestations auxquelles la vieille femme participe sont vues et partagées des millions de fois. Tout le pays découvre alors l’existence du petit village de Soyudlu et de la mine d’or voisine à l’origine de la révolte des habitants.

L’auteure de ces reportages est une jeune journaliste d’investigation de 25 ans : Nargiz Absalamova qui travaille pour Abzas Media, l’un des derniers médias indépendants du pays, connu pour ses enquêtes sur la corruption et les violations des droits de l’homme sous le régime d’Ilham Aliyev. Une exception dans le paysage médiatique azerbaïdjanais, réputé pour sa docilité vis-à-vis des autorités.

Co-fondé en 2016 par Ulvi Hasanli, Abzas Media a appris à gérer les coups de pression et les menaces mais ses journalistes ne s’attendaient pas à autant d’ennuis avec cette histoire de mine d’or. 24 heures après son arrivée à Soyudlu, Nargiz Absalamova est expulsée du village par les forces de l’ordre. A Bakou, Ulvi Hasanli, le directeur d’Abzas Media, est arrêté pendant quelques heures après avoir publié des images de la vidéo de sa reporter.

« Les dirigeants et employés d’Abzas Media ont été arrêtés pour leur enquête sur la corruption », indique la bannière Facebook du média avec les portraits, de gauche à droite, Elnara Gasimova, Mahammad Kekalov, Hafiz Babali, Ulvi Hasanli, Nargiz Absalamova et Sevinc Vaqifqizi

Nargiz Absalamova à la sortie du tribunal du district de Khatai le 1er décembre 2023, tout juste condamnée à 3 mois de détention provisoire. Crédit : Ulviyya Ali

Il est désormais impossible d’enquêter sur cette mine d’or dans le pays. Surtout depuis la vague de répression qui cible la presse depuis le mois de novembre dernier et dont les journalistes d’Abzas Media ont été les premières victimes. Nargiz Absalamova a été placée en détention provisoire le 1er décembre 2023 quelques jours après Ulvi Hasanli et la rédactrice en chef du site, Sevinc Vaqifqizi. Six membres d’Abzas Media sont aujourd’hui derrière les barreaux. Tous sont accusés de « trafic de devises étrangères », et risquent jusqu’à 8 ans de prison en Azerbaïdjan.

Depuis leur cellule, les journalistes ont appelé leurs confrères du monde entier à les soutenir et à poursuivre leurs enquêtes. C’est l’objectif du projet « Baku Connection », coordonné par Forbidden Stories. Dès les premières arrestations, 40 journalistes de 15 médias dans le monde ont travaillé main dans la main pour continuer le travail d’Abzas Media, notamment sur la mine Gedabek, près du village de Soyudlu. Une vaste enquête que les journalistes azerbaïdjanais avaient prévu d’approfondir malgré les intimidations, grâce à des financements européens.

Après deux mois de travail, le consortium révèle comment une partie de l’or qui finit aujourd’hui dans nos smartphones ou nos voitures électriques provient de cette mine accusée par la population locale de contaminer leurs terres au cyanure. Des allégations difficiles à vérifier à cause des pressions que subissent tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à ce qu’il se passe à Soyudlu. Menaces de poursuites en justice, arrestations, expulsions, tortures, sont autant d’outils répressifs utilisés par le pouvoir en place pour imposer le silence.

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L’envers du décor

L’Azerbaïdjan est plus connu pour ses gisements d’or noir que pour ses métaux précieux. Pourtant, le sol de ce pays regorge de minerais en particulier dans le Petit Caucase, une chaîne de montagnes située à la frontière entre la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan tout à l’Ouest du pays.

C’est en 2008, dans cette région très verte et vallonnée qu’est construite la « mine Gedabek », la première mine d’or du pays. Ici, l’or provient des roches directement extraites des carrières à ciel ouvert et les rendements sont bons avec une production d’environ 1200 kg par an. Une manne économique pour les habitants de cette région éloignée, qui se sont vu offrir des promesses d’emplois, un cybercafé ou des formations internet.

L’envers du décor est moins rayonnant… Pour extraire tout cet or, la mine utilise une solution liquide à base de cyanure, un composant chimique très toxique qui permet de séparer l’or de la roche. Les boues résultantes du processus finissent dans un gigantesque lac artificiel de six millions de mètres cubes – l’équivalent de 1600 piscines olympiques – créé en 2012 à quelques centaines de mètres du village de Soyudlu.

Évolution dans le temps du bassin où sont concentrés les résidus miniers, depuis sa construction en 2012 jusqu’en 2022, via des images satellite. Crédit : images satellite ©2024 Maxar Technologies

Une cuve géante qui a ses limites. D’après les informations diffusées sur le site Internet de la compagnie minière, la capacité de stockage est « suffisante jusqu’à la fin de l’année 2023 environ ». Pour continuer à exploiter l’or, la société envisage alors de construire un deuxième bassin dans une vallée toute proche. C’est sans compter la colère de la population locale que le pays va alors découvrir sur les réseaux, notamment grâce aux reportages d’Abzas Media.

La goutte d’eau

Dans une vidéo postée par Abzas Media le 21 juin 2023, Nargiz Absalamova filme longuement le bassin existant, dont on distingue les contours derrière un grillage. « Ils veulent construire le deuxième lac ici » montre du doigt une habitante du village avant d’ajouter que « la source Vali, la source la plus pure de Soyudlu, le legs de nos ancêtres, sera bloquée sous l’étang ». Au-delà de la destruction de leurs pâturages, les habitants sont aussi très inquiets pour leur santé.

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Une femme âgée du village face aux autorités qui exprime ses craintes quant à la contamination du réservoir. Crédit : Meydan TV

« Mon mari est mort d’un cancer. Je peux montrer les documents ! L’étang contaminé nous tue ! » déplore une femme, téléphone à la main, au micro de la journaliste. De nombreux villageois considèrent le bassin de résidus miniers responsable des cancers, maladies cardiaques et troubles digestifs qui, selon eux, se développent dans la région. « L’odeur près du lac était terrible » se remémore Kanan Khalilzadeh, éco-activiste membre d’Ecofront qui milite pour la protection de l’environnement en Azerbaïdjan. Un phénomène qui, selon lui, serait dû au cyanure qui se transforme en gaz toxique quand il est au contact de l’eau. « Il est [ensuite] inhalé par le système respiratoire, ingéré par la bouche et a des effets néfastes sur la santé des personnes », détaille le Professeur Nasir Nesanir, expert turc en santé publique qui a beaucoup travaillé sur les résidus miniers.

Interrogée sur l’impact sanitaire de ses activités minières, la société propriétaire, Anglo Asian Mining, renvoie aux articles publiés par des médias pro-gouvernementaux attestant, photos à l’appui, que des examens médicaux volontaires « ont été effectués sur les habitants du village de Soyudlu ». Les résultats indiquent « un état de santé satisfaisant de la population ».

Malgré plusieurs tentatives, nous n’avons pu joindre les médecins locaux susceptibles de confirmer ces informations de manière indépendante.

Les inquiétudes des habitants ne datent pas d’aujourd’hui. « Depuis l’ouverture, les gens se plaignent mais il n’y a jamais eu de grande manifestation et ce n’était pas un débat national », raconte Javid Gara, un autre membre d’Ecofront. Jusqu’au mois de juin dernier quand une centaine d’habitants est descendue dans la rue.

Les habitants du village Soyudlu, le 21 juin 2023, manifestent contre la construction d’un deuxième barrage et la répression de la manifestation de la veille. Crédit : Meydan TV

Un mouvement de protestation rapidement et violemment réprimé par les forces de l’ordre. « Il y avait environ 300 policiers là-bas, c’était trop », se souvient Elmaddin Shamilzade, l’un des journalistes présents sur place avant d’ajouter qu’« ils étaient habillés en Robocop et cachaient leurs visages. » Une intervention musclée que les autorités préfèrent ne pas médiatiser.

Torture et menace de viol

24 heures après leur arrivée, Nargiz Absalamova et deux autres journalistes se voient refuser l’entrée au village. Quelques heures plus tard, ils réussissent à y accéder par un chemin alternatif mais sont immédiatement arrêtés par la police puis frappés. « Alors que j’essayais de défendre Nigar [sa consoeur de Voice of America, ndlr], la police m’a poussée, m’a attrapé le bras et m’a frappée contre le mur. » décrit Nargiz dans une plainte déposée auprès du Procureur Général. Pour toute réponse, les autorités locales ont expliqué que la journaliste ne portait pas de « signe distinctif permettant de confirmer ses activités ».

La situation est jugée suffisamment grave pour alarmer Dunja Mijatović, la Commissaire aux droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe. Dans une lettre datée du 13 juillet, elle questionne les autorités sur la légalité des mesures prises pour empêcher les journalistes d’accéder au village. Ce à quoi les autorités du pays ont répondu que l’interdiction avait justement pour but de garantir leur sécurité compte tenu des dangers sur le terrain.

Les journalistes Nargiz Absalamova (droite) et Nigar Mubariz dans une voiture après avoir été arrêtées par la police le 22 juin 2023 et expulsées de force du village avec un de leur confère Elsever Muradzade. Crédit : Voice of America

Cette censure a continué jusqu’à Bakou. Dès son retour dans la capitale après son reportage, le journaliste Elmaddin Shamilzade est arrêté par des hommes en civil puis emmené de force au poste de police. Sur place, on lui demande de supprimer la photo des forces de l’ordre à Soyudlu qu’il avait publiée sur les réseaux.

« Vous savez que nous avons des chambres spéciales et que nous pouvons vous y emmener », le menace un agent. « L’un des policiers m’a frappé au visage, j’ai caché mon visage, puis ils ont continué », raconte le journaliste. « Il y a un type qui marchait dans le couloir et qui a vu ça. « Oh, vous êtes en train de battre quelqu’un. » Il a pris [la matraque] et s’est joint à eux ». Le jeune homme finit par perdre connaissance et accepte de supprimer lui-même le post. Mais ce n’est pas assez. Les policiers veulent avoir un accès complet à son téléphone et le menacent ensuite de viol, une pratique courante dans les prisons azerbaïdjanaises. Elmaddin Shamilzade finit par donner son mot de passe et quittera le pays par peur des représailles.

Panique des autorités

Réprimées dans la violence, les manifestations de Soyudlu sont prises très au sérieux par le pouvoir et inquiètent jusqu’au Président lui-même. Lors d’une réunion consacrée aux résultats socio-économiques du pays en juillet, il déclare: « Bien sûr, ils [Anglo Asian Mining, la société minière qui détient la concession Gedabek, ndlr] ne sont pas venus ici pour faire la charité, mais pour gagner de l’argent. Mais cela ne veut pas dire que notre nature doive être détruite en cours de route. » Le message est clair : le pouvoir est du côté du peuple et de l’environnement, pas des intérêts miniers étrangers.

Très vite, le gouvernement ordonne la création d’une commission chargée d’analyser la situation. Elle sera présidée par Mukhtar Babayev, ministre de l’Ecologie et des Ressources naturelles, auquel le premier ministre reproche de ne pas avoir surveillé les activités de l’entreprise, qualifiant cela publiquement de « grave erreur de calcul ». Dès le 14 juillet 2023, les activités de la mine sont temporairement suspendues par le gouvernement, dans l’attente d’une étude d’impact environnemental et sanitaire de l’entreprise.

« Lorsqu’un gouvernement ferme une mine à cause de problèmes de pollution ou de violations des droits humains, c’est que la situation est extrêmement préoccupante. Un État en lui-même n’a aucun intérêt à suspendre les activités d’une mine car il va généralement perdre des revenus », commente Marc Ummel, un expert en ressources naturelles de l’ONG spécialiste des questions de développement Swissaid.

Le gouvernement d’Aliyev a effectivement beaucoup à perdre. La société britannique Anglo Asian Mining (AAM) qui détient cette concession minière a, par le biais de sa filiale locale Azerbaijan International Mining Company, signé un accord de partage de la production (« Production Sharing Agreement ») avec le gouvernement azerbaïdjannais. Une part des bénéfices de la production revient au Ministère de l’écologie et des ressources naturelles, une aubaine pour le gouvernement.

Ilham Aliyev et Mohammad Reza Vaziri lors de l’inauguration de l’usine de traitement, en 2013. Crédit : site officiel de la présidence

À l’origine de cet arrangement, le magnat iranien Mohammad Reza Vaziri, principal actionnaire de la société. L’homme est dans les petits papiers du régime Aliyev depuis des décennies. Lors de l’inauguration de l’usine de traitement de la mine Gedabek en 2013, il pose fièrement aux côtés du président alors que la presse étrangère le décrit comme le sésame capable d’accéder au premier ministre du pays et au ministre du pétrole « n’importe quand ». Vaziri n’est pas le seul aux manettes d’AAM. À ses côtés, une figure de premier plan de la politique américaine, John Sununu, ancien gouverneur républicain du New Hampshire et chef de cabinet de George Bush père. Climato sceptique renommé, l’homme de 84 ans détient près de 9,4% des parts d’AAM, l’équivalent de 8 millions de dollars aux cours actuels.

Chaque jour de fermeture représente un énorme manque à gagner pour les autorités et pour l’entreprise, qui a vu son action chuter brutalement en juillet dernier. D’après son dernier rapport annuel, la production de l’année 2023 a dégringolé de 44,77% suite à l’arrêt de l’exploitation. Pour les affaires, il faut trouver une solution, et rapidement.

On reste en contact ?

Officiellement, le problème est réglé

Entre le 25 juillet et le 1er août 2023, des dizaines de représentants ministériels, d’ingénieurs et de scientifiques sont dépêchés sur place. Construction du barrage, état des cours d’eau, qualité de l’air… Toute une batterie d’examens est réalisée sous l’égide de la société internationale de conseil en géologie et en exploitation minière Micon International.

Deux mois plus tard, le 26 septembre 2023, tous les voyants sont au vert pour une reprise des activités. « Le barrage à résidus existant est généralement en bon état de fonctionnement » et « aucun échantillon de sol n’a révélé la présence de cyanure au-delà des limites de détection analytique » selon Micon International cité par AAM. Pour expliquer la colère de la population et son opposition au projet de nouveau bassin, les experts mandatés mettent en avant « un manque de communication proactive entre l’équipe de gestion du site et la communauté locale ».

Malgré des demandes répétées auprès d’AAM, de Micon International, des laboratoires qui ont analysé les prélèvements et du ministère de l’Environnement, Forbidden Stories et ses partenaires n’ont pas pu accéder aux résultats des prélèvements menés sur le terrain ni aux recommandations faites.

L’idée d’un nouveau bassin aussi proche du village est en revanche écartée. Mais pour permettre la reprise des activités, une solution a été trouvée. Le barrage actuel va être surélevé. Dans un rapport de septembre 2023 destiné à leurs actionnaires, les responsables de la mine expliquent que « le mur actuel [du barrage, ndlr] peut être surélevé d’environ 7,5 mètres en moyenne ». Un aménagement possible grâce au cabinet d’ingénieur Knight Piésold qui, d’après ce même rapport, n’a détecté « aucun problème de stabilité structurelle de la paroi ».

Lac de boues cyanurées filmé par la journaliste Nargiz Absalamova, le 21 juin 2023. Crédit : Abzas Media

Sollicité par le consortium Forbidden Stories, le cabinet Knight Piésold a indiqué que ces informations étaient « incorrectes » avant de préciser dans un nouveau courriel être tenu par un accord de confidentialité qui l’empêchait de divulguer la nature de son travail sur ce barrage. La société AAM n’a pas souhaité commenter. Elle a par ailleurs rappelé son respect de « toutes les réglementations locales » et a annoncé « qu’elle s’engageait à mettre en œuvre la norme industrielle mondiale sur la gestion des résidus ».

Quatre mois après les manifestations des habitants, la mine annonce reprendre ses activités. Une très bonne nouvelle pour le gouvernement, le business et les clients d’AAM, notamment le plus important d’entre eux, le suisse MKS PAMP.

Tesla, HP, Samsung, Apple… où finit l’or azerbaïdjanais ?

Ce nom ne vous dit peut-être rien mais MKS PAMP est un géant de l’or, l’une des dix plus grandes raffineries d’or au monde qui revend ensuite ce minerai à des entreprises dont le nom, lui, vous est beaucoup plus familier. Tesla, HP, Samsung ou Apple utilisent notamment l’or de MKS PAMP dont une partie provient directement de la mine Gedabek. Voitures électriques, ordinateurs, composants électroniques, smartphones… Le métal précieux azerbaïdjanais se retrouve partout dans notre quotidien.

Questionné sur le respect des droits humains à Soyudlu et sur les potentiels impacts sur la santé des habitants, MKS PAMP a déclaré « prendre très au sérieux la responsabilité environnementale » tout en concluant « qu’elle continuerait à collaborer avec d’Anglo Asian Mining » compte tenu des résultats de l’audit environnemental.

Quant aux clients de MKS PAMP, Microsoft est la seule multinationale à avoir répondu aux questions du consortium en renvoyant à leurs engagements en matière de droits de l’homme et à leur soutien au journalisme indépendant, sans toutefois réagir aux questions relatives à AAM. Tesla, Apple et HP n’ont pas répondu à nos sollicitations.

Carrière de la mine Gedabek dont sont extraites les tonnes de roches nécessaires à la production d’or. Crédit : site internet d’Anglo Asian Mining

D’autres ex-clients de la mine Gedabek sont en revanche beaucoup plus circonspects et ont préféré mettre fin à toutes relations commerciales avec AAM, bien avant les événements du mois de juin dernier. C’est le cas d’Argor-Heraeus, un autre poids lourd du secteur également dans le top 10 des plus grandes raffineries du monde aux côtés de MKS PAMP. En 2020 et 2021, la raffinerie a affiné 10% de l’or d’AAM avant de cesser cette activité en décembre 2021. « Dans le cadre de notre processus de mise à jour KYC (Know Your Customer) démarré en 2022, Anglo Asian Mining n’a pas fourni toutes les informations requises », détaille Tore Prang, responsable de la communication et du marketing et vice-président exécutif du groupe avant d’ajouter : « Nous avons donc suspendu le client et ensuite bloqué l’entreprise en mai 2023. »

Le silence est d’or

À l’autre bout de la chaîne, à Soyudlu, des questions demeurent. Comment cet immense bassin a-t-il été construit ? Est-il étanche ? Certains craignent même une rupture du barrage. « Si cela arrive, ce sera une catastrophe », explique Javid Gara. Un scénario qui s’est déjà produit, notamment en 2000 dans la ville de Baia Mare en Roumanie. Considéré comme le pire désastre écologique en Europe de l’Est depuis Tchernobyl, l’incident hante encore toutes les mémoires dans le pays. À l’époque, la rupture d’un barrage contenant les résidus miniers de la mine de Baia Borsa avait provoqué le déversement de 100 000 mètres cubes d’eau empoisonnée au cyanure dans les rivières locales. Ces eaux contaminées avaient provoqué la mort d’immenses quantités de poissons et détruit 80% de la vie aquatique sur son passage. « Si cela se produit, il ne s’agira pas d’un seul village. Il ne s’agit pas d’une ville. Il s’agit de la moitié du pays », ajoute Javid Gara.

Poste de contrôle mis en place par la police à l’entrée du village de Soyudlu en juin dernier. Crédit : Abzas Media

« Sous cloche depuis trois mois, le village de Soyudlu n’est pas accessible aux journalistes indépendants », écrivait Reporters Sans Frontières en septembre dernier. « Si vous dites la vérité, ils vous coupent la langue » livrait à Forbidden Stories et ses partenaires un des rares habitants du village qui a accepté de répondre sous couvert d’anonymat. À Soyudlu et dans la région, l’accès à l’information est désormais totalement cloisonné et la couverture médiatique réduite à néant.

L’enquête sur la mine d’or est d’autant plus cruciale que l’Azerbaïdjan accueillera la COP29 en novembre 2024. Ironie du sort, le président de la conférence n’est autre que Mukhtar Babayev, l’actuel ministre de l’Écologie à la tête de la commission qui était chargée de superviser les analyses à Soyudlu. Le ministre n’a pas répondu aux questions du consortium.

Depuis sa prison, la rédactrice en chef d’Abzas Media Sevinc Vaqifqizi a, par l’intermédiaire de son avocat Elchin Sadigov, suggéré de lancer une campagne sous le slogan « L’argent sale est aussi dangereux que l’air sale » avant d’ajouter : « Cela pourrait donner une bouffée d’air frais à la démocratie. »

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