« Vous pouvez me tuer mais vous ne me ferez pas taire. »

Par Laurent Richard
Temps de lecture : 2 minutes

LE PROJET RAFAEL | 18 avril 2023

Dans les jours qui ont précédé sa mort, Rafael Moreno était en contact avec Forbidden Stories.

Les menaces que le journaliste colombien recevait étaient de plus en plus inquiétantes. C’est pour cette raison que Rafael avait décidé de partager avec notre équipe les informations sur lesquelles il travaillait. Pour que ses enquêtes puissent être poursuivies si jamais il était assassiné.

Le 16 octobre 2022 à 19h10, Rafael Moreno a été abattu de plusieurs balles dans la ville de Montelíbano, au nord de la Colombie. Une zone particulièrement dangereuse, dominée par le « Clan del Golfo », l’un des cartels les plus puissants du monde.

Immédiatement après son meurtre, depuis Bogotá, nous avons rencontré et rassemblé des dizaines de journalistes colombiens, sud-américains et internationaux pour organiser la poursuite de son travail.

Le 23 octobre, une trentaine de femmes et d’hommes, tous journalistes aguerris, ont décidé d’unir leurs forces pour reprendre le travail de Rafael, là où il l’avait laissé.

Six mois après son assassinat, sous la coordination de Forbidden Stories, les journalistes d’El Espectador, de CLIP (El Centro Latinoamericano de Investigación Periodística – le Centre latino-américain de journalisme d’investigation, ndlr), de Cuestión Pública, France 24, RFI et d’autres organisations de presse partenaires publient le « Projet Rafael ». Une investigation collaborative et internationale révélant des informations majeures sur l’impact environnemental et sanitaire de plusieurs sociétés minières de l’État de Córdoba, mais aussi sur un système de favoritisme et le probable détournement de plusieurs millions de dollars de contrats publics auxquels Rafael Moreno s’était intéressé de près.

Comme Rafael, des dizaines de journalistes dans le monde mettent actuellement à l’abri leurs informations et leurs enquêtes en cours via notre Safebox Network. Ce nouveau réseau mondial se déploie à grande vitesse. Certains d’entre eux, comme Alfredo Guachiré au Paraguay, Paola Ugaz au Pérou ou Haruna Mohammed Salisu au Nigéria font même savoir publiquement, haut et fort, que pour leur propre sécurité, ils ont fait le choix de partager avec notre consortium leurs investigations en cours. Les tuer ne servira donc à rien, sauf à exposer davantage – et dans le monde entier – ces enquêtes qui dérangent.

À quelques jours de la  Journée mondiale de la liberté de la presse, il est important de rappeler qu’il en va de nos démocraties et du droit de chaque citoyen à être informé. Poursuivre les enquêtes des journalistes assassinés ne relève pas d’un réflexe confraternel, mais de notre devoir d’informer l’opinion publique sur ces sujets majeurs – qu’il s’agisse de crimes environnementaux, de corruption, de violations des droits de l’homme – pour lesquels les journalistes sont de plus en plus menacés.

Aux tueurs de Rafael : vous avez eu tort. Aujourd’hui, 32 médias dans le monde publient les enquêtes du « Projet Rafael ». Tuer le messager ne tuera pas le message.

Laurent Richard, journaliste et directeur du consortium Forbidden Stories.