Azerbaïdjan : Enquête sur le business de l’observation électorale

Avec plus de 92% des suffrages, Ilham Aliyev a été largement réélu à la tête de l’Azerbaïdjan, le 7 février dernier, sur fond de climat répressif et d’arrestations de journalistes. Un score salué par des observateurs du monde entier, souvent invités par le pays. Dans le cadre du projet « Baku Connection », Forbidden Stories a enquêté sur ces observateurs amis du pays qui servent de caution démocratique au régime.

Par Eloïse Layan
Temps de lecture : 13 minutes

THE BAKU CONNECTION | 20 février 2024

Contributeurs : Youssr Youssef (Forbidden Stories), Paciane Rouchon (Forbidden Stories), Sebastian Seibt (France 24).

 

À l’en croire, tout s’est très bien passé, c’était même « l’élection la plus paisible qu’elle ait jamais vue ». Ce mercredi 7 février, la Tanzanienne Jessica Mshama, 28 ans, qui figure par ailleurs dans le Top Forbes Africa des moins de trente ans, était en Azerbaïdjan pour observer l’élection présidentielle. Badge autour du cou, elle s’est rendue dans « au moins cinq bureaux de vote » et nous raconte avoir « tout observé ». Elle a vu « des électeurs libres de leur choix, une grande affluence, des personnes âgées, des jeunes aussi… », elle en est ressortie « impressionnée ». Sur son Instagram, elle poste pour ses 110.000 abonnés ses impressions positives de la journée. Elle partage aussi son enthousiasme avec les médias azéris dans « plus de cinq interviews », une presse qu’elle estime par ailleurs « libre ». Le soir de l’élection, le président Ilham Aliyev sera annoncé gagnant du scrutin, avec pas moins de 92,12% des voix. Il entame sa vingt-et-unième année au pouvoir dans cette ancienne République soviétique du Caucase, après avoir succédé à son père et toujours aux côté de sa femme, Mehriban Aliyeva, la vice-présidente du pays depuis sept ans. Une histoire de famille sur fond de scandales de corruption et de violations des droits de l’homme. Mais que certains semblent ignorer.

Publication Instagram de la Tanzanienne Jessica Mshama, prête à observer les élections à Bakou.

Jessica Mshama fait partie des 780 observateurs internationaux, de 89 pays différents, invités par la Commission Électorale Centrale d’Azerbaïdjan. « Un nombre conséquent (..) pour garantir le caractère libre, transparent et démocratique de l’élection », rappelle le président de la Commission devant la Cour Constitutionnelle d’Azerbaïdjan. Une grande partie d’entre eux se font élogieux. « Des élections excellemment organisées », pour le député mexicain Alberto Villa Villegas. « En accord avec les standards internationaux », selon le sénateur malais Nur Jazlan Mohamed.

La députée italienne Naike Gruppioni (Italia Viva) est dithyrambique : « les élections que j’ai observées sont un exemple pour de nombreux pays, et par exemple pour mon pays, l’Italie ». Des observateurs extérieurs qui valident le processus électoral : une aubaine pour le régime Aliyev. Une farce pour beaucoup.

Accompagnée d’autres députés italiens, Naike Gruppioni (deuxième à gauche) face à la presse azérie. Crédit : capture d’écran du site secki-2024.az

L’azerbaidjanais Cavid Aga, critique du régime, a lui aussi été observateur lors des dernières élections législatives en 2020. Il nous raconte avoir constaté cinq incidents en une seule journée. Un début de bourrage d’urne ou encore un vote dit « carrousel », soit un petit groupe d’électeurs qui vont voter de bureau en bureau. Pour lui, ces observateurs « ne sont que des visages de la propagande gouvernementale ». Il a refusé de renouveler l’expérience cette année : « Je suis peut-être pessimiste, mais il n’y a rien à observer. » Il cite le retrait du scrutin des deux plus gros partis d’opposition, le Müsavat (après l’arrestation d’un de ses leaders) et le Front populaire de l’Azerbaïdjan, qui a appelé au boycott des élections dès la mi-décembre. Malgré les victoires militaires au Haut-Karabakh qui ont renforcé la popularité du régime et poussé Ilham Aliyev à avancer les élections, le climat est à la répression avec l’arrestation de plusieurs militants politiques et journalistes dans les semaines qui ont précédé l’élection.

Six membres du média indépendant Abzas sont actuellement derrière les barreaux.

Avec le projet The Baku Connection, Forbidden Stories a poursuivi leur travail avec 40 journalistes de 15 médias européens.

Corruption, pollution, droits de l’homme… Ils étaient parmi les derniers dans le pays à enquêter sur les dérives du puissant régime Aliyev.

 

Un tampon international

Un ancien observateur européen expérimenté se fait aussi acerbe. Membre d’une délégation pour les élections législatives en 2020 en Azerbaïdjan, il qualifie ces missions de « pas du tout sérieuses ». « Ils viennent souvent avec un agenda politique, et une méthodologie peu claire. La plupart du temps, ils n’observent que quelques bureaux de vote, ou au contraire un grand nombre de bureaux mais en un temps record. Il faut un certain nombre d’observations pour avoir des statistiques significatives… Eux disent simplement “j’ai vu ci, j’ai vu ça” et les déclarations qu’ils font à la presse vont être utilisées pour décrédibiliser nos propres résultats ! » À savoir, les résultats de l’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), une délégation composée du BIDDH (le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme) et des élus du Parlement de l’OSCE. Le sociologue Gerald Knaus, à la tête d’un groupe de réflexion sur les questions de démocratie en Europe (European Stability Initiative) abonde « il y a toujours deux types de délégations : les professionnels et les autres qui sont parfois payés. Et par le passé parfois payés ouvertement par l’Azerbaïdjan, via des ONG en Belgique et en Allemagne avec des hommes politiques invités à passer quelques jours à Bakou, et ils profitent des bons restaurants, des bons hôtels, et ensuite disent à la télévision que les élections se sont bien déroulées. »

L’OSCE – que Gerald Knaus range dans les « professionnels » – se garde néanmoins de critiquer ouvertement les autres délégations, pointe tout au plus une différence de méthodologie et rappelle ses standards : un groupe d’observateurs qui reste plus d’un mois dans le pays et rencontre notamment les membres de l’opposition et les journalistes indépendants. Des observations sur tout le territoire avec à chaque fois le même questionnaire. L’OSCE fait partie des seules organisations à formuler des critiques, décrivant cette année un « environnement restrictif », soulignant que sur « les six candidats à l’élection autres que le titulaire, tous avaient soutenu le Président dans un passé récent ». L’organisation a constaté des irrégularités dans 7,7 % des bureaux de vote, un taux souligné comme « élevé ». Les irrégularités sont communes dans le pays. En 2018, l’OSCE avait évalué négativement le scrutin dans 12% des cas, un chiffre « préoccupant ». Pire, en 2013, l’Azerbaïdjan annonçait le résultat des élections un jour avant le scrutin.

Le président Ilham Aliyev et sa famille ont choisi de voter à Khankendi, principale ville du Haut-Karabakh. Crédit : site internet officiel du président de l'Azerbaïdjan.

Pour la spécialiste des régimes autoritaires Maria Debre, les observateurs conciliants sont d’abord un « tampon international », une « légitimation du pouvoir en place. Cela permet de dire aux citoyens “regardez, c’étaient des élections libres ; regardez, elles se sont déroulées selon les standards internationaux”, c’est une mécanique très courante dans les autocraties. Si vous pouvez avoir des délégations « amies », qui viennent souvent de régimes autoritaires, alors vous n’avez même plus à vous soucier des critiques ». D’autant que le business de l’observation électorale s’est étoffé. Là où il y a vingt ans, les régimes ne pouvaient faire qu’avec les délégations européennes, ils peuvent aujourd’hui s’appuyer sur une panoplie d’organisations. C’est par exemple le CIS, le Commonwealth of Independent States, qui regroupe les anciens membres de l’URSS et qui a déclaré cette année avoir assisté à des élections d’un « niveau exemplaire ». C’est aussi l’Organisation de coopération de Shanghai (« aucune violation » observée) ou l’Organisation des États Turciques qui crée sa mission en 2011. « Le CIS, mené par la Russie, a été le premier à entrer dans la bataille, et à vouloir présenter l’OSCE comme une organisation biaisée », explique Maria Debre.

 

Des européens corrompus

Pour ce vernis démocratique, les régimes autoritaires sont parfois prêts à payer le prix fort. En avril 2018, dans le flot des observateurs, le français Yassin Lamaoui aurait presque pu passer inaperçu. Seule trace de son voyage, une photo, quelques déclarations à la presse azérie où il est identifié comme « Yassin Lamour » et non « Lamaoui ». L’homme est alors l’assistant parlementaire de Pierre-Alain Raphan, épinglé quelques mois plus tard par le journal Marianne qui le présente comme le « député LREM qui court après les millions ». Président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan à l’Assemblée nationale, le député aurait proposé à l’Azerbaïdjan de financer à hauteur de 2,8 millions d’euros par an une association dénommée « Alfa » (l’Alliance franco-azerbaïdjanaise).

Avant même ce projet, c’est à l’origine via Yassin Lamaoui que le député aurait été approché par un cabinet de conseil mandaté par l’Ambassadeur de l’Azerbaïdjan en France. Comme le raconte La Lettre, Elchin Amirbayov est alors en peine de relais macronistes. Avec le changement d’ambassadeur, les rêves de millions du député n’auraient pas été exaucés. Alors qu’a rapporté à Yassin Lamaoui son voyage à Bakou ? Malgré plusieurs tentatives, nous n’avons pas réussi à le joindre. Quant à Pierre-Alain Raphan, il dit « ne pas se souvenir » du voyage de son collaborateur et « ne pas avoir reçu une seule transaction financière ».

En Avril 2018, Yassin Lamaoui, assistant du député Pierre-Alain Raphan va observer l’élection présidentielle à Bakou. Crédit : capture d’écran Azertac.

Ces observateurs européens, dont certains ont été condamnés pour corruption, ou qui ne suivent pas une méthodologie rigoureuse, une ONG européenne leur a donné le nom de « fake observers » (faux observateurs). Sur son site, l’EPDE – European Platform for Democratic Elections – liste ces « observateurs biaisés », notamment à partir de leurs déclarations dans la presse azérie. En Azerbaïdjan, ils sont plus de 70 sur les huit dernières années selon le décompte de l’ONG. Certains étaient membres du Conseil de l’Europe, d’autres invités à titre « d’observateurs indépendants », tous frais payés. Des observateurs dont la presse azérie n’hésite pas à mettre en valeur les titres de sénateur, député, assistant parlementaire, maire.

Pour le gouvernement azerbaïdjanais, l’observation des élections n’est qu’un élément d’un dispositif beaucoup plus large pour recruter des alliés et s’acheter de l’influence à l’étranger. Une stratégie de grande échelle révélée en 2012, quand éclate le scandale de la « Diplomatie du Caviar ». Cash, tapis, caviar et prostituées… Le Conseil de l’Europe découvre alors, grâce à un rapport de l’ESI de Gerald Knaus, puis aux enquêtes d’un consortium mené par l’OCCRP (l’Organized Crime and Corruption Reporting Project), que certains de ses membres sont achetés. Pire, des décisions du Conseil de l’Europe ont été influencées par des élus aujourd’hui poursuivis pour corruption. Parmi eux, le député Eduard Lintner, accusé par la magistrature allemande d’avoir perçu des « millions d’euros jusqu’en 2016 via 19 sociétés boîtes aux lettres ». Il est depuis décembre poursuivi pour des faits de « corruption », avec l’ancien député Axel Fischer, qui aurait lui touché un pot de vin de 21,800 euros en 2016. Le scandale éclabousse aussi la Belgique et son député Alain Destexhe qui organisait des missions d’observation électorale à Bakou via une association qu’il avait montée et qui aurait reçu des fonds d’Eduard Lintner. L’Italie n’est pas épargnée avec son député Luca Volontè, condamné en 2021 à quatre ans de prison pour avoir reçu 500.000 euros de pots de vin de l’Azerbaïdjan entre 2012 et 2014. En 2022, il est acquitté, il y a prescription. Derrière la machine à cash, il y aurait eu l’Azerbaidjanais Elkhan Suleymanov, qui siégeait aussi au Conseil de l’Europe. Selon un témoin entendu par les trois experts mandatés en 2018 par le Conseil de l’Europe pour enquêter sur les allégations de corruption, il « aurait disposé de 30 millions d’euros pour ce “lobbying sale” ». Treize parlementaires seront finalement bannis à vie du Conseil de l’Europe. Au moins huit d’entre eux étaient déjà allés observer des élections en Azerbaïdjan.

L’ancien député Jean-Luc Reitzer, à droite, Janusz Niedźwiecki, à gauche, et une statue en hommage au président Heydar Aliyev, au centre. Photo prise en 2019, retrouvée sur le compte Facebook de J. Niedźwiecki, aujourd’hui accusé d’espionage.

Pour d’autres observateurs, les motivations – sincères, idéologiques, pécuniaires – sont plus difficiles à cerner. En 2020, l’ancien député LR du Haut-Rhin Jean-Luc Reitzer part observer les élections législatives à Bakou. Sur place, il est interviewé par la presse. Une publication russe titre : « Jean-Luc Reitzer : “l’Azerbaïdjan suit graduellement la voie de la démocratisation”». Joint par téléphone, il met du temps à se remémorer cette mission à Bakou pourtant mentionnée dans ses déclarations relatives aux dons et voyages à l’Assemblée Nationale. Il évoque la covid qui l’a plongé dans le coma quelques semaines après son voyage. Aucun souvenir non plus de l’ECDHR (l’European Council for Democracy and Human Rights) ou de son président à l’époque, le polonais Janusz Niedźwiecki. Pourtant d’après nos informations, c’est cette organisation au nom faussement progressiste qui lui a envoyé une lettre d’invitation. Or Janusz Niedźwiecki, à côté de qui Jean-Luc Reitzer pose sur une photo prise à Bakou et postée en mai 2019 sur Facebook, a été arrêté en 2021. Il est poursuivi depuis le mois de février pour « espionnage et intelligence étrangère » pour le compte du Kremlin.

 

Un si beau voyage

Les chemins qui mènent aux bureaux de vote de Bakou semblent parfois plus directs. Pour le sénateur Joël Guerriau, aujourd’hui mis en examen suite à la plainte de la députée Sandrine Josso qui l’accuse de l’avoir droguée, il aura suffi d’un rapport sur l’Arménie remarqué par l’Ambassade d’Azerbaïdjan à Paris. C’est en tout cas la version du journal local LaBaule+ dirigée par Yannick Urrien, un admirateur de l’Azerbaïdjan. Invité par l’ambassadeur à observer les législatives de 2020, le sénateur est alors photographié en conférence de presse devant une dizaine de micros. Un voyage qui ne figure pas sur ses déclarations. Il est aujourd’hui difficile de joindre Joël Guerriau, nous n’avons pas eu plus d’explications.

En revanche, des détails de cette mission de 2020 sont donnés par Yves Métaireau, alors maire de la Baule. L’élu local se retrouve en Azerbaïdjan au même moment que Joël Guerriau. Il voyage avec Yannick Urrien, de LaBaule+, qui a ses entrées dans le pays.

Extrait de la Une du journal LaBaule+, Mars 2020.

Dans son livre Les tribulations d’un maire de France, l’ancien maire détaille son voyage avec son ami journaliste, façon escapade touristique : « Nous fûmes très bien accueillis à Bakou, la capitale, et l’on mit à notre disposition voitures et chauffeurs pour découvrir la ville et la région ». Il raconte sa découverte de Bakou où « l’on peut découvrir de très beaux hôtels, des magasins de luxe et des centres commerciaux ». Et sa conférence de presse avec Joël Guerriau « devant une forêt de micros de journalistes internationaux qui nous interrogeaient sur le bon déroulement des opérations électorales ». Il va jusqu’à visiter les vignobles de la vice-présidente Mehriban Aliyeva, à 150 km de Bakou. Joint par téléphone, Yves Métaireau n’a « pas très envie de parler », et rappelle qu’à l’époque « la France n’avait pas émis de critiques à l’égard du pays ». Yannick Urrien, lui, revendique sa « curiosité » pour le pays. Journaliste pour LaBaule+, et administrateur du titre Bourseplus de Nicolas Miguet (connu entre autres pour ses candidatures aux présidentielles en France avec son slogan « Moins d’impôts maintenant ! »), il a de bons contacts, à Paris et à l’étranger. Il est aussi l’ami de Thierry Mariani, député européen RN, longtemps membre du groupe France-Azerbaïdjan à l’Assemblée Nationale. Il nous peint un pays « laïque », où les « femmes sont libres ».

Interview de Yannick Urrien au média d’extrême droite TV Libertés, en février 2020.

Quant au risque d’être la caution démocratique du régime ? Critiquer serait selon lui « contre-productif ». « Ils vont dans le bon sens, et on fait évoluer les choses par l’écoute, le dialogue, la coopération. » Malgré l’admiration qu’il voue à ce pays « moderne », Yannick Urrien n’est pas allé observer les élections de 2024.

 

Brouille au Conseil de l’Europe

Malgré les liens tissés entre certains élus français et le régime d’Aliyev, aucun observateur français n’a été convié cette année. Une première en au moins dix ans. Grand absent du scrutin également: l’institut de sondage français Opinion Way. Pourtant, depuis au moins 2015, Bruno Jeanbart (aujourd’hui vice-président de l’institut) venait annoncer, en personne, les premiers sondages à la sortie des urnes – comme dans « toutes les enquêtes internationales que je fais, je passe mon temps à me déplacer », justifie-t-il. Comme pour les observateurs, ses déclarations étaient reprises par la presse pro-Aliyev comme caution du respect des standards démocratiques. Interrogé sur le risque de « démocratie-washing », le sondeur répond : « C’est une question qui peut se poser effectivement. Elle se pose même dans les pays démocratiques. On est régulièrement soumis ici en France à des critiques sur la manière dont nos données sont utilisées par les médias, par des politiques. »

Cette année, il n’aurait pas « eu de contact pour travailler là-bas ». Les sondages à la sortie des urnes ont été assurés par le cabinet américain Oracle Advisory Groupe et leur représentante Vlada Galan qui se présente sur son twitter comme une « experte des élections » et une « lobbyiste ». Le cabinet américain a déclaré à Forbidden Stories avoir conduit « un sondage à la sortie des urnes scientifique, pour lequel il a interviewé 63.000 électeurs » à travers le pays, et qu’en aucun cas il était enregistré comme « observateur international » de l’élection.

Bruno Jeanbart (au centre) annonce les sondages de sortie des urnes en 2015. Crédit : capture d’écran Azertac.

L’Azerbaïdjan a aussi refusé la délégation du Conseil de l’Europe, sur fond de tensions liées à la reprise des territoires du Haut-Karabakh. « Ils ne nous invitent pas et le font exprès (..) car ils s’attendent à des critiques de notre part. C’est pourtant une obligation des pays membres d’autoriser des rapporteurs pour une mission d’observation électorale », s’insurge le chef de la délégation allemande Frank Schwabe (groupe des socialistes, démocrates et verts (SOC)). Au Conseil de l’Europe, c’est l’élément de trop. L’affront conduit ses membres à exclure temporairement la délégation de l’Azerbaïdjan de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe le 24 janvier 2024.

Avec la France, la rupture est consommée. L’Ambassadrice d’Azerbaïdjan en France, S.E. Leyla Abdullayeva l’assume : « Je ne vais pas faire de langue de bois. Nous avons une crise dans nos relations bilatérales. Avec les présidents Mitterrand, Chirac, Sarkozy, nous avions de bonnes relations, aujourd’hui, la position de la France, nous la regrettons ». Depuis la guerre du Haut-Karabakh en septembre 2020, et le bombardement de la région en septembre 2023, les relations sont tendues. Encore plus après l’accord pour une coopération militaire renforcée conclu entre la France et l’Arménie, en octobre dernier, et l’expulsion de deux diplomates français d’Azerbaïdjan en décembre. À l’Assemblée nationale, il n’est plus de bon ton d’afficher une proximité avec Bakou, le groupe d’amitié a été déserté, il est actuellement en « sommeil ». La diplomatie du caviar semble oubliée, l’Azerbaïdjan privilégie désormais l’attaque.

 

L’Azerbaïdjan avec les indépendantistes kanaks et corses

En juillet 2023, une campagne en ligne cible les Jeux Olympiques de Paris avec ce hashtag #BoycottParis2024. Une vidéo circule, mêlant images d’athlètes et images de violences policières- manifestants aspergés de gaz lacrymogène et coups de matraques avec cette interrogation : « Human Rights ? ». Viginum, l’agence gouvernementale française de défense contre l’influence numérique étrangère se saisit de l’affaire, et remonte notamment jusqu’à deux entreprises de Relations Publiques basées aux Etats-Unis, détenues par l’entrepreneur azéri Orkhan Rzayev qui dément dans la presse. L’Ambassadrice Leyla Abdullayeva rejette aussi « toutes les accusations disant que le gouvernement est derrière cela ».

Capture d’écran de la vidéo initialement diffusée sur X par le compte @NewYorklnsider visionnée plusieurs millions de fois, liée à une entreprise azerbaïdjanaise.

La rhétorique est pourtant la même que celle du président Aliyev qui dépeint la France comme un pays qui « se présente faussement comme un défenseur des droits humains ». En juillet dernier, en marge du Mouvement des non alignés, dont l’Azerbaïdjan a assuré la présidence de 2019 à janvier 2024, le Baku Initiative Group est créé. Il regroupe des indépendantistes kanaks, guadeloupéens, guyanais, mais son directeur est azerbaïdjanais, ses bureaux sont à Bakou. Dans un message que le Président Aliyev adresse à ses membres, il déclare : « certains pays continuent le colonialisme. Parmi eux, le premier est la France ». Soutien aux indépendantistes corses contre les « policiers de la dictature de Macron » ; relais des troubles à Mayotte avec les hashtag #MayotteEnColère, #EtatMenteurFrance, voilà un extrait de ce que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux de ce groupe. Au milieu de ce contenu, une vidéo du journaliste de la Baule Yannick Urrien qui adresse au pays ses félicitations après la « Victoire et la Justice » au Haut-Karabakh. Yannick Urrien connaît bien le groupe de Bakou, il est allé dénoncer le massacre des Vendéens et des Bretons lors de l’une de leurs conférences, convié par le très influent Hikmet Hajiyev, proche conseiller du président Aliyev, nous dit-il. Même s’il « soupçonne » que le groupe ne soit qu’un moyen d’attaquer la France, ce qu’il « regrette en tant que patriote », il ajoute que « c’est légitime, la France l’a cherché ».

Pourtant, certains croient à la sincérité de l’Azerbaïdjan. La tanzanienne Jessica Mshama, dont nous avons fait le récit de sa mission d’observation des élections, estime que le pays « a été un champion » pour soutenir les jeunes du Mouvement des non-alignés. En plus du Baku Initiative Group, l’Azerbaïdjan impulse le « NAM Youth mouvement » (Jeunesse du Mouvement des non-alignés). C’est à ce titre, pour une réunion de Capacity Building que Jessica Mshama a été invitée dans la capitale azérie, avec une vingtaine d’autres jeunes. Ils en ont profité pour observer les élections. « Une coïncidence de calendrier », veut croire un jeune représentant du Malawi. La veille du scrutin, selon Jessica Mshama, les membres du NAM ont reçu une petite formation et un livret sur l’observation d’élections. Leurs déclarations à la presse azérie ont été sans appel : « Ces élections étaient ouvertes à tous, transparentes, libres, et justes. » Comme un air de déjà vu…