Mort de Viktoriia Roschyna: Le directeur du « Guantanamo russe » dans le viseur de la justice ukrainienne pour crime de guerre

À la veille des obsèques de Viktoriia Roschyna et trois mois après la publication du Viktoriia Project, le directeur russe de la prison de Taganrog où la journaliste ukrainienne fut détenue a été officiellement mis sous enquête pour crime de guerre par les autorités ukrainiennes.

Par Guillaume Vénétitay

8 août, 2025

A côté d’une couronne de fleurs roses et violettes, le portrait de Viktoriia Roschyna la montre bras croisés, regard déterminé. Une photo qui résonne parfaitement avec les nombreux hommages qui ont été rendus ce vendredi 8 août, lors des funérailles de la journaliste ukrainienne. « C’est la personne la plus brave que j’ai connue de toute ma vie », a décrit, près de son cercueil, Sevgil Musaieva, sa rédactrice en chef à Ukrainska Pravda.

La cérémonie a débuté sous le dôme d’or de l’église du monastère Saint-Michel, en plein centre de Kyiv, avant de continuer sur la place Maïdan, où de nombreux anciens collègues ont plié un genou à terre devant son cercueil, puis prononcé quelques mots pour honorer Viktoriia. « Quand elle commençait quelque chose, elle n’abandonnait jamais. Et dans les histoires qu’elle couvrait, elle n’abandonnait jamais ses interlocuteurs », a expliqué Angelina Kariakina, qui a travaillé avec Vika pour le média hromadske.

Le cercueil de Viktoriia Roschyna lors de ses funérailles à l’église du monastère Saint-Michel, à Kyiv (Credit : Ukrainska Pravda)

Viktoriia Roschyna a ensuite été inhumée au cimetière Baïkov, dans le sud de Kyiv. Des obsèques qui viennent clore deux ans d’incertitude, d’espoirs déçus et de douleurs pour les proches de la journaliste. Viktoriia avait disparu début août 2023 dans la région de Zaporijia, en zone occupée par la Russie. Reporter obstinée, elle était « la seule journaliste à couvrir les territoires ukrainiens occupés. Pour elle, c’était une mission », raconte Sevgil Musaieva.

Un courage reconnu par le président Volodymyr Zelensky qui lui a décerné le 2 août, à titre posthume, l’Ordre de la liberté. « Elle était l’une de celle qui racontait la vérité sur la guerre […] risquant sa vie pour cela », a écrit Zelensky sur son compte X.

Forbidden Stories et douze médias partenaires ont poursuivi le travail de Viktoriia Roschyna, déclarée morte en détention par les autorités russes en octobre 2024. Publiée le 30 avril dernier, notre enquête révélait le sort réservé à la journaliste, transférée entre plusieurs centres de détention en Ukraine occupée et en Russie. Finalement rapatrié, le corps de la journaliste portait des traces de sévices. Les stigmates des mauvais traitements subis par des milliers de civils ukrainiens, enlevés puis détenus au secret et systématiquement torturés par les autorités russes.

Torture systématique

Parmi les lieux d’incarcération identifiés par notre consortium, la prison de Taganrog, sur les bords de la mer d’Azov, côté russe. Cet ancien centre de détention pour mineurs a été transformé en usine à broyer les prisonniers ukrainiens -civils comme militaires- depuis le début de l’invasion à grande échelle, en février 2022. Au point d’être surnommé le «Guantanamo russe », en raison d’un recours systématique à la torture contre les détenus.

Viktoriia a passé près de neuf mois à Taganrog, entre décembre 2023 et septembre 2024. Forbidden Stories et ses partenaires ont identifié et publié les noms de plusieurs responsables de la prison de Taganrog. Parmi eux, son directeur, Oleksandr Shtoda. Trois mois après la publication de notre enquête, ce dernier est aujourd’hui dans le viseur des autorités ukrainiennes.

Le cercueil de Viktoriia Roschyna sur la place Maïdan, à Kyiv, où ses anciens collègues lui ont rendu hommage (Credit : Jędrzej Nowicki)

« Traitement cruel »

A la veille des obsèques de Viktoriia Roschyna, la police nationale et le bureau du procureur chargé des crimes de guerre ont annoncé que Shtoda, 45 ans, était officiellement ciblé dans leur enquête. « Sous la direction du suspect, il a été mis en place au centre de détention numéro 2 de Taganrog, dans la région de Rostov, un système de répression à l’encontre de citoyens ukrainiens détenus illégalement, notamment des civils », écrit la police dans un communiqué.

Oleksander Shtoda est aussi accusé d’avoir «organisé le traitement cruel » réservé à Viktoriia Roschyna, qui « consistait à la maintenir dans des conditions inadéquates, à lui refuser des soins médicaux, à lui fournir une alimentation extrêmement faible et à la soumettre à des violences physiques et psychologiques », a déclaré dans une vidéo Yuriy Belousov, chef de l’unité chargée des crimes de guerre auprès du procureur général ukrainien.

Par ses actions contre Viktoriia, exécutées par ses subordonnés, le directeur du centre de détention de Taganrog « a commis un crime de guerre, qui a pris la forme de mauvais traitements contre une civile » selon Belousov. Le fonctionnaire de l’administration pénitentiaire russe est visé par une procédure par contumace, ce qui lui a été notifié par les autorités ukrainiennes. Il risque jusqu’à 12 ans de prison, en attendant la suite de l’enquête, toujours en cours. Contacté par le consortium, Shtoda n’a pas répondu à nos sollicitations.

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